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stituent la justice et la vérité de tous les temps; se demander quel est le régime qui est seul légitime, c’est par là même n’user de sa liberté que pour décider quelle est la manière de voir que l’on ne doit plus être libre de contester, quelle est la manière de faire dont on ne doit plus avoir le droit de s’écarter.

Chacun prophétise comme il peut. D’autres découvrent les causes et les signes de la révolution dans les événemens du XVIIe et du XVIIIe siècle; ils les trouvent dans les abus de pouvoir de la royauté et dans l’exagération des privilèges, dans la décrépitude et dans le renversement soudain des vieilles institutions, dans l’incrédulité de Voltaire et dans les orgies de la régence. Pour nous, nous n’avons pas besoin de regarder de ce côté pour voir la révolution qui s’avance. Elle et ses échecs, elle et ce qu’on nomme ses causes, nous voyons tout cela en germe dans la monomanie d’unité qui s’empare de toutes les têtes au XVIIe siècle et qui méconnaît déjà la destinée de l’humanité, car elle ne travaille qu’à lui enlever son droit à la libre recherche, son droit à l’erreur et au repentir sans terme, son droit à la vie enfin, pour l’établir dans la vérité définitive, qui doit être l’éternelle auberge du repos. La constituante, la convention, l’empire, nous apercevons tout cela dans cette idée fixe d’orthodoxie qui, avec Bossuet et Louis XIV, avec Boileau et Vaugelas, s’acharne à fixer la règle du beau qui est un comme la vérité, la règle du bien qui est un comme le vrai et le beau. Que disons-nous? la monarchie n’a pas encore constitué son despotisme, le doute religieux n’est pas encore sorti de la révocation de l’édit de Nantes et de la bulle Unigenitus, la lassitude du décorum imposé n’a pas encore provoqué la licence des mœurs, que déjà la révolution est inévitable. Elle est toute faite dès le jour où la nation se décide pour la renaissance contre la réforme, pour le formalisme de l’antiquité contre le spiritualisme des races encore indomptées du nord, pour l’intelligence, qui poursuit la bonne règle, dont la connaissance dispense de la bonne inspiration, contre la conscience, qui s’efforce de nous dispenser de toute loi en nous faisant l’obligation d’avoir le bon esprit. A partir de cet instant, la France a renoncé au libre développement de son individualité nationale, renoncé à l’originalité de sa littérature d’imagination et à sa place en tête du progrès; elle s’est livrée à une centralisation littéraire, politique et militaire qui, en légiférant, en disciplinant, devait d’abord lui rapporter un brillant épanouissement de serre chaude et un court instant de domination universelle, mais qui, au lendemain de cette gloire, de cet ordre, de cette décence superficielle, devait en définitive se solder pour elle par l’épuisement, par l’anarchie, par la perte de l’empire des esprits en Europe. Elle s’est condamnée enfin