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la cruauté. Les éloges enthousiastes de ses auditeurs le dédommagent à peine, on le voit, de la peine qu’il a prise, et, s’emparant des feuillets copiés par Gérard, il s’apprête à sortir.


« Mais auparavant il tira doucement fra Colonna par l’oreille, lui demandant s’il se souvenait d’une de leurs espiègleries d’écoliers, alors que de concert ils avaient vidé de l’argent qu’il contenait certain tronc placé aux pieds d’une madone, sur le bord d’un chemin... — Vous aviez enduit de glu l’extrémité aplatie d’une baguette, et c’est ainsi, mauvais sujet, continua le pape d’un ton sévère, c’est ainsi que vous parvîntes à extraire par l’étroite fente cette monnaie tant convoitée.

« — A tout seigneur tout honneur! répliqua fra Colonna. L’invention de cette petite manœuvre jaillit de votre esprit subtil. Je n’en fus que l’humble instrument.

« — Fort bien... Vous savez sans doute que c’était là un sacrilège?

« — Un sacrilège de première classe; mais, accompli en si bonne compagnie, je ne puis dire qu’il m’ait laissé beaucoup d’inquiétude.

« — Oui-da!... Je n’ai pas même, moi, cette chétive consolation... A quoi fut dépensé cet argent? T’en souviens-tu?

« — Votre sainteté peut-elle bien le demander!... En dragées, et jusqu’au dernier baïoque.

« — Joyeux souvenirs, mon Francesco!... Hélas! je me fais vieux... Je ne suis plus ici pour longtemps... Et je le regrette pour ce qui te concerne... Ils te brûleront quand je serai parti... Tu es bien autrement hérétique, toi, que ce Jean Huss, brûlé jadis sous mes yeux... Hélas! il mourut comme un martyr!...

« — Peut-être, saint père... Mais je crois au pape, et Huss n’y croyait pas.

« — Renard que tu es... Décidément ils ne te brûleront pas,... le bois est trop cher. Adieu, mon vieux camarade... Adieu, jeunes gens! la bénédiction d’un vieillard est sur vous... »


En compagnie de fra Colonna, Gérard étudie à la fois la Rome des empereurs et la Rome des papes, et probablement, grâce aux commentaires de son guide, — commentaires dignes de Zénon ou d’Epictète, — le naïf Allemand risquerait d’y laisser quelque peu de sa ferveur catholique, lorsqu’une nouvelle crise précipite sa destinée dans une autre voie. Appelé au palais Cesarini, où la jeune princesse Clœlia le mande pour lui dicter une réponse aux billets doux d’un soupirant qu’elle n’aime guère, Gérard a le terrible. bonheur d’inspirer une passion subite à la capricieuse et hautaine jeune fille. Elle parvient pendant quelque temps à se contenir et à dissimuler ce qu’elle éprouve; mais sous divers prétextes elle fait sans cesse revenir auprès d’elle ce bel étranger dont l’admiration la flatte, et qui obtient enfin d’elle la permission de la peindre, vêtue comme les Romaines du temps jadis. L’honnête Hollandais n’y entend pas