Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV. — LA POPULATION.

La population actuelle du Mexique est d’environ huit millions d’âmes, dont plus de la moitié d’Indiens de race pure. Sur le reste, la majorité est formée des castes de sang-mêlé qui sont principalement issues de blancs et d’Indiens. Les noirs et les métis résultant de leur croisement avec les blancs ou avec les Indiens forment d’autres catégories distinctes, mais tous ensemble ils ne composent qu’une fraction insignifiante de la population totale. Au commencement du siècle, les noirs purs n’excédaient pas dix mille, ce qui donne une idée de ce que peuvent être les sang-mêlé de noir et de blanc, ou de noir et d’Indien. Cette faible proportion de l’élément africain et de ses dérivés constitue un avantage véritable pour le Mexique. Et d’abord elle a rendu très facile l’émancipation des noirs. C’est même un fait à mentionner à l’honneur des Mexicains que l’émancipation s’y était accomplie par la volonté spontanée des propriétaires d’esclaves avant que le pays ne s’appartînt encore, avant même que le mouvement de l’indépendance ne fût commencé[1]. En proclamant l’abolition de l’esclavage, les constitutions que s’est données le Mexique indépendant ont simplement reconnu un fait déjà consommé. En second lieu, de l’absence presque complète des nègres résulte une certaine supériorité de l’intelligence moyenne du peuple mexicain par rapport à ce que représentent quelques autres parties de l’Amérique espagnole. Je ne voudrais pas discréditer les descendans de Cham, et il n’entre pas dans ma pensée qu’à l’avenir rien puisse justifier l’esclavage de cette race infortunée. Au surplus, de l’infériorité intellectuelle du noir on n’est pas autorisé à conclure à la légitimité d’une institution sociale qui fait de cette variété de l’espèce humaine un troupeau

  1. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans M. Ward : « Les plantations de Cuernavaca (à quinze lieues de Mexico) furent d’abord exploitées par des esclaves achetés à la Vera-Cruz au prix de 3 ou 400 piastres (de 1,600 francs à 2,140 francs) chacun. La difficulté de se procurer des esclaves en cas de guerre maritime, le nombre de ceux que l’on perdait durant le trajet et par le changement de climat, firent naître chez plusieurs grands propriétaires l’idée de propager une race de travailleurs libres en affranchissant annuellement un certain nombre d’esclaves et en les encourageant à se marier parmi la population indigène, ce à quoi les esclaves se prêtèrent volontiers. Ce plan fut trouvé si économique, qu’en 1898 il n’y avait plus un seul esclave dans la plupart des grandes plantations. La sagesse de cette mesure devint encore plus évidente en 1810. Aussitôt que la révolution éclata, ceux des planteurs qui n’avaient pas adopté le système d’émancipation graduée furent tout d’un coup délaissés par leurs esclaves, et dans plusieurs cas forcés de fermer leurs établissemens, tandis que ceux qui s’étaient pourvus à temps d’une classe mêlée de travailleurs libres continuèrent à avoir en toute circonstance à leur disposition un nombre de bras suffisant pour continuer leur exploitation, quoique sur une moindre échelle. » — Ward, le Mexique en 1827, p. 67.