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d’émigration, les Chinois, qui sont les plus industrieux des Asiatiques, l’ont spontanément continué. Ils sont venus d’eux-mêmes chercher du travail dans certaines contrées où l’absence des liras leur avait été signalée. Ils sont accourus en Californie, où ils sont au nombre de 40,000, presque tous adonnés au lavage des alluvions aurifères, et en Australie, où l’industrie de l’or a exercé sur eux la même puissance d’attraction; ils y donnent l’exemple de l’amour du travail, de l’économie et de l’obéissance aux lois. Si les gouvernemens et les populations des pays que dessert le Grand-Océan leur faisaient un accueil bienveillant, ce qui, disons-le avec regret, n’a pas été le cas en Californie ni en Australie, il n’y aurait pas de limite aux multitudes qui quitteraient la Chine pour venir ainsi se mêler au courant de la civilisation occidentale dans tous ces parages. Aucun pays n’en pourrait profiter plus que le Mexique, s’il le voulait.

Enfin, au Mexique, par un autre privilège, les deux océans se trouvent fort rapprochés l’un de l’autre. La largeur du continent à Tehuantepec, au midi de la Vera-Cruz, est réduite à 220 kilomètres. Si l’on veut passer par Mexico après avoir débarqué à Vera-Cruz, pour se diriger sur Acapulco, qui est au pied de l’autre versant, le trajet (toujours à vol d’oiseau) n’est encore que de 550 kilomètres, à peu près la distance de Paris à Bordeaux. Plus au nord, par Durango, l’intervalle devient de 1,000 kilomètres. Enfin, parmi les directions nombreuses par lesquelles on a projeté de traverser la chaussée, longue, avons-nous dit, de 2,300 kilomètres, qu’on appelle l’isthme de Panama, le passage par Tehuantepec est le plus septentrional de tous, le plus à portée de l’Europe et des États-Unis. Pour les Américains du Nord, c’est celui qui abrégerait le plus le voyage de la Californie et celui des Grandes-Indes. Rien ne serait plus aisé que de faire passer par Là un chemin de fer, et il n’est pas interdit d’y espérer quelque jour un canal maritime, car le plateau de Tarifa, qui servirait de point de partage, n’est qu’à 200 mètres d’élévation au-dessus de l’Océan. On sait que c’est à peu près la hauteur du bief de partage du canal des Deux-Mers, creusé par l’illustre Riquet à travers le Languedoc[1]. Le plus grand obstacle à ce canal serait la difficulté de trouver un port offrant un mouillage suffisant à l’extrémité de chacun des versans, et principalement sur le versant occidental, vers Tehuantepec; mais le problème de créer un port de toutes pièces n’est pas absolument insoluble. Dans un pays où la science et les capitaux abonderaient, on peut en espérer la solution, pour peu que la nature s’y prête.

  1. L’élévation du bief de partage du canal des Deux-Mers au-dessus de la Méditerranée est de 189 mètres.