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courant de la civilisation européenne se précipite vers le champ que lui offraient depuis quelques siècles l’Océan-Pacifique et les terres qui le bordent, on n’a qu’à se rendre compte de ce qu’était à l’origine du XIXe siècle le commerce de l’Europe ou des États-Unis avec l’Inde, avec la Chine et avec les colonies environnantes, et à en comparer les proportions avec celles qu’il a acquises de nos jours. Alors la compagnie anglaise des Indes accaparait les échanges entre l’Europe, l’Inde et la Chine, et ces échanges étaient bien médiocres. Les États-Unis y prenaient part au moyen d’un petit nombre de navires. Le Japon était fermé, Java languissait, Singapore n’existait pas. En Australie, quelques milliers de condamnés se façonnaient lentement et péniblement aux pratiques d’une vie honnête en cultivant le sol. On n’y avait pas encore découvert le système d’exploitation territoriale qui a fait de cette colonie le principal centre de la production de la laine pour l’industrie européenne, encore moins les mines de cuivre et surtout les mines d’or, qui aujourd’hui présentent des ressources inépuisables au mineur. La Californie alors n’était peuplée que d’une poignée de missionnaires apprenant tant bien que mal les rudimens du christianisme à quelques peuplades d’Indiens. On ne soupçonnait pas qu’elle recelât les mines d’or dont la présence, subitement révélée par le hasard au génie audacieux et infatigable des Américains du Nord, y a, de toutes les parties de la terre, attiré des colons intrépides, et converti les vallées désertes du Sacramento et du San-Joaquin en un des foyers les plus intéressans de la civilisation.

Mais ce n’est pas seulement l’appât du plus précieux des métaux, le désir si vif chez la plupart des peuples d’en arracher des parcelles aux alluvions ou au fond des entrailles de la terre, qui aujourd’hui attire la race européenne dans les parages du Grand-Océan. À ces mobiles se joint ce sentiment que le globe terrestre est le patrimoine des fils de Japhet, cette pensée dont sont saisis les grands gouvernemens de l’Europe, qu’il leur appartient de s’immiscer dans les affaires des peuples de la civilisation orientale et de renverser les barrières dont ils s’obstinaient à entourer leur routine et leur vanité. Le canon de l’Europe a forcé les portes du plus populeux empire de la terre, la Chine, qui renferme un nombre d’hommes double de ce qu’en présente l’Europe entière<ref> La population de l’Europe tout entière, en y comprenant la Turquie dite d’Europe, s’élève à 270 millions; voyez la Géographie de Malte-Brun, édition Cortambert, tome VI, page 352. Le recensement de 1852 a constaté en Chine une population de 537 millions; voyez l’article Pé-king, par M. Natalis Rondot, dans le Dictionnaire du Commerce de M. Guillaumin. </<ref>, de Cadix et de Lisbonne à Christiania, et de Dublin à Saint-Pétersbourg. Les drapeaux de la France et de l’Angleterre ont flotté sur les murs de Pékin, et cette