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La Prusse, dans la situation critique qu’elle traverse, est aussi un de ces pays qu’il ne convient point de juger d’après les erremens que nous fournit notre propre expérience. On dirait que la Prusse est à la veille d’un grave conflit intérieur. Les électeurs s’apprêtent à élire une chambre au moins aussi libérale que celle qui vient d’être dissoute. A en juger par les dispositions que l’opinion publique prête au roi, ce souverain ne paraîtrait pas enclin à céder. Un tel état de choses traduit en français équivaudrait à Charles X avec le prince de Polignac en face des 221 et aboutissant par les ordonnances à la révolution de juillet. La crise prussienne, nous le parierions, n’aura pas ce dénoûment. Le ministère provisoire actuel n’est point l’expression du parti de la croix, et il ne faut pas oublier que la dynastie en Prusse jouit d’une popularité sérieuse qui protégerait au besoin le souverain même contre les conséquences d’une erreur de jugement dont le sentiment libéral de la nation serait froissé.

L’insurrection militaire de Nauplie est réprimée; mais cette perturbation, qui a failli devenir si périlleuse, n’est que le symptôme des erreurs et des faiblesses du gouvernement du roi Othon. L’apaisement de cette révolte ne guérit malheureusement pas la Grèce du mal dont elle est rongée. A Constantinople, un grand effort de restauration financière s’accomplit en ce moment. Un emprunt ottoman qui vient d’être souscrit à Londres avec un très grand succès met à la disposition de la Turquie des ressources qui lui seront très utiles, si elle en fait bon usage. Tout un ensemble de réformes financières se rattache à l’emprunt qui a trouvé en Angleterre des souscripteurs nombreux et empressés. La Turquie, elle aussi, ferait une conversion; elle convertirait ses caïmés, son papier-monnaie, en une dette intérieure, et rétablirait la circulation monétaire; elle donnerait des gages au crédit européen en admettant des commissaires anglais et français au contrôle de l’emploi qui sera fait des ressources de l’emprunt et des revenus affectés au service des intérêts. Ces réformes sérieuses sont appuyées par le sultan avec une droiture d’intentions et une fermeté de volonté remarquables. Les combinaisons destinées à les réaliser ont été étudiées et mûries par le grand-vizir Fuad-Pacha et par Aali-Pacha. Fuad-Pacha a fait preuve en cette circonstance de l’intelligence et de la sagacité qu’on lui connaît en Europe. Si cet heureux changement dans la situation financière de l’empire ottoman se consolide par des mesures raisonnables et suivies, la Turquie sera redevable de cette amélioration aux capitaux anglais; mais nous ne devons pas oublier que la maison qui a émis l’emprunt a un Français à sa tête, et que l’homme dont les conseils et les travaux auront surtout contribué à la restauration des finances turques est un des membres les plus distingués de notre administration financière, M. le marquis de Plœuc.


E. FOURCADE.


V. DE MARS.