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devra rendre plus sensible au pays que chaque aggravation d’impôt est la contre-partie d’une dépense inutile peut-être ou exagérée, que le député qui vote l’impôt est aussi le contrôleur de la dépense, et que le contribuable qui paie la taxe est le même électeur qui nomme le député. Dans l’état présent de nos institutions, il n’y a pas de moyen de contrôle plus efficace que celui-là; aussi ne comprenons-nous point qu’un honorable député. M. Devinck, qui s’est jusqu’à présent distingué au corps législatif par la correction de ses appréciations en matière financière, ait cru devoir se prononcer contre le système de M. Fould et conseiller l’emprunt à la place des augmentations d’impôts. M. Devinck demande, il est vrai, d’une part que l’armée soit réduite, de l’autre que l’emprunt soit affecté aux travaux extraordinaires dont les générations futures recueilleront les fruits. M. Devinck oublie que les assemblées représentatives ont, elles aussi, leurs entraînemens aux prodigalités ruineuses pour les finances. Si les armemens dispendieux sont la tentation du pouvoir, les travaux extraordinaires votés pêle-mêle, sans ordre, sans discernement exact de l’utilité et de l’opportunité, sont la tentation des assemblées représentatives. Si la voie de l’emprunt en temps de paix demeurait ouverte, on verrait dans l’avenir, comme dans le passé, le pouvoir et l’assemblée acheter par un compromis la mutuelle satisfaction de leurs faiblesses, et le désordre financier se perpétuer et aboutir à la perturbation, sinon à l’épuisement des ressources nationales.

En sortant de la France, nous ne rencontrons pas aujourd’hui au dehors de spectacle plus saisissant que celui que présente la guerre civile américaine touchant à sa crise suprême. L’armée du général Mac-Clellan s’est enfin ébranlée, et marche sur l’armée confédérée, qui se retire devant elle. La lutte va prendre des proportions grandioses et décisives, et ceux d’entre nous qui n’oublient point les liens étroits qui unissent aux traditions les plus nobles et aux plus chères idées de la France le triomphe de la république américaine ne peuvent attendre sans émotion un dénoûment qui paraît devoir être si prochain. Quoi qu’il en soit, l’Amérique du Nord a déjà fait assez pour justifier les sympathies qu’elle a inspirées dans cette crise au libéralisme français. La société américaine, la grande démocratie transatlantique a donné des preuves éclatantes de sa vitalité, et à tout événement nous pouvons espérer que les États-Unis subsisteront comme une puissance grande, forte, libérale et prospère. Les efforts que l’Union a dû tenter pour faire face à la révolution qui l’a déchirée ont été parfois sans doute impuissans ou insuffisans; mais, malgré les fautes commises, on ne peut s’empêcher d’admirer l’énergie et les prodigieuses ressources déployées, en des circonstances si imprévues, par un peuple qui n’avait jamais vécu que pour le commerce et l’industrie, et qui dans cette extrémité n’a point été dirigé par la volonté unique et centralisante d’un maître. Les institutions libérales ont traversé victorieusement en Amérique, il est déjà permis de le dire, l’épreuve au milieu de laquelle leurs ennemis espéraient les voir périr. Jamais on n’avait vu encore une révolution et une