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réformes économiques, et que la cause de la liberté du commerce ne fût par là chez nous gravement compromise. M. Pouyer-Quertier a également soulevé une objection très sérieuse quand il a signalé l’inconséquence du gouvernement en matière de taxation. Rien n’était plus logique au moment où l’on mettait pour la première fois de grandes industries françaises aux prises avec la concurrence étrangère que de réduire les taxes sur les denrées de grande consommation comme sur les matières premières. Aux industries auxquelles il demande de produire au meilleur marché possible, le gouvernement doit en effet assurer les moyens de production les plus économiques, et il commettrait une sorte d’injustice, si, par les exigences de sa fiscalité, il les plaçait dans des conditions inférieures à celles de la concurrence étrangère. C’est ce que l’on avait compris en 1860 en réduisant les droits sur le sucre et sur le café. Ce dégrèvement était la contre-partie naturelle de l’admission des produits étrangers à des droits modérés. C’était là une sorte de protection indirecte, la seule protection logique, équitable, parce qu’elle ne sert les intérêts particuliers qu’en donnant satisfaction à l’intérêt général. Mais voici que cette année, la première de l’application complète du traité de commerce, le gouvernement vient retirer aux industries nationales le bénéfice de cette compensation, et propose des taxes pour 110 millions, parmi lesquelles figurent des surtaxes importantes sur le sel et le sucre. L’équilibre de la politique commerciale de 1860 est rompu au détriment de l’industrie nationale en souffrance. On allègue les nécessités de la politique financière; mais les mouvemens de la politique commerciale sont essentiellement liés à ceux de la politique financière, et M. Pouyer-Quertier a dit un mot de véritable bon sens quand il a déclaré que le gouvernement eût dû « faire sa caisse » en 1860, au lieu d’attendre la fin de 1861 pour s’éclairer sur l’état de ses finances.

Voilà le terme auquel on arrive presque toujours quand on observe la marche des gouvernemens qui se succèdent en France depuis soixante ans. Chose étrange, nous sommes le peuple du monde qui se pique le plus de logique, et nous sommes le peuple du monde le plus décousu dans sa politique. Le défaut d’unité, de coordination et de suite dans les vues et dans la conduite de nos intérêts se rencontre partout, à chaque pas, dans notre histoire contemporaine. Je crains fort que toute la logique dont nous nous vantons ne se réduise à la passive inertie avec laquelle nous subissons la logique des faits, c’est-à-dire cette force des choses dont on est nécessairement le jouet quand on ne sait pas la maîtriser par l’ampleur des conceptions, par une attention compréhensive et vigilante et par la constance de l’action. Pour comprendre nos incohérences d’aujourd’hui, il n’y a qu’à parcourir l’histoire de nos incohérences d’autrefois. Le cinquième volume de l’Histoire parlementaire de M. Duvergier de Hauranne est à cet égard fertile en enseignemens. L’intérêt va grandissant dans l’œuvre de M. Duvergier. Ce cinquième volume comprend la fin du ministère Dessoles, le ministère Decazes et le commencement du second ministère du duc de Ri-