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fut qu’en 1849 qu’un comité créé à Vienne, sous le patronage de l’archiduchesse Sophie, songea à envoyer une mission catholique au Nil-Blanc, que le livre de M. Werne venait de mettre en faveur auprès du public allemand. On prit quelques prêtres séculiers, principalement choisis en Illyrie ; on mit à leur tête un curé des environs de Laybach, dom Ignatius Knoblecher, prêtre d’une éducation superficielle, mais pratique, parlant plusieurs langues, plein d’entregent, et qui, en arrivant au Soudan, fonda à Khartoum une mission mère dont les succursales furent, dans le pays des nègres, Sainte-Croix-de-Pantentoum (village des bois) et Notre-Dame-de-Gondokoro. La construction coûteuse de Khartoum et de Gondokoro fut moins en rapport avec les résultats probables qu’avec des espérances prématurément conçues. Pour des raisons trop longues à développer ici, il ne fallait guère songer à agir sur les blancs ou sur les Africains musulmans. Si, parmi leurs coreligionnaires, les missionnaires parvinrent à régulariser par des mariages certaines situations équivoques, la morale y gagna quelque chose ; mais la vie intime ne se trouva pas mieux de ces unions presque forcées entre des hommes plus ou moins cultivés et des créatures inférieures aux yeux des sauvages eux-mêmes. Par cette imprudente intervention dans la vie privée, les missionnaires déposèrent dans les esprits le germe des ressentimens qui n’éclatèrent que trop violemment plus tard. En s’établissant parmi les nègres, il ne paraît pas qu’ils eussent conscience de l’élément moral sur lequel ils comptaient opérer. Le nègre du Nil est un enfant, vieilli à certains égards, entièrement esclave de la vie matérielle, qui est assez dure pour lui, dépourvu d’idées religieuses et n’éprouvant guère le besoin d’en avoir. M. Brun-Rollet, qui le connaissait bien, affirmait qu’il était à peu près athée : cela est vrai pour la foule ; mais quand on a appris la langue des noirs et inspiré une certaine confiance aux vieillards, on obtient d’eux certaines demi-confidences, réminiscences obscures d’une tradition qui s’efface dans la nuit. Les Denka, la plus nombreuse des tribus niliennes, rendent un culte ou plutôt un hommage fort théorique à l’Etre tout-puissant, habitant du ciel d’où il voit tout, et appelé Dendid (la Grande-Pluie, c’est-à-dire la bénédiction universelle). Dendid peut tout ; mais comme il est tout bien, il ne peut faire que le bien ; aussi, comme on ne le craint pas, on ne le prie jamais. Le domaine du mal appartient à Ghiok, le mauvais esprit, qui habite dans la forêt ou le désert (ror). C’est lui qui donne la sécheresse ; aussi, quand la pluie tarde à tomber, on s’adresse au koudjour (prêtre ou sorcier) pour lui sacrifier un ou plusieurs bœufs. Ghiok est le contraire du bon esprit ; « mais celui-ci, qui parlait jadis aux chefs des nègres, ne veut plus leur parler, et il ne converse qu’avec les blancs. Voilà