Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire trop de noblesse et trop de style chez l’autre Héliodore, terrassé lui aussi, mais faisant un suprême effort pour se tenir sur son séant et repousser du geste et de la voix les coups qui le vont frapper. Je veux bien qu’il y ait dans cette pose quelque chose d’un peu trop dramatique; en revanche, l’Héliodore nouveau est, à mon sens, trop sans façon. Sans se draper pour mourir, on peut ne pas tomber si maladroitement, laisser voir un peu mieux son visage, ne pas soulever sa jambe, ne pas la laisser ainsi éternellement en l’air sans point d’appui, ce qui, par sympathie, cause à ceux qui la voient une véritable fatigue. J’avoue pourtant que cette prostration complète du principal personnage, qui au point de vue pittoresque laisse tant à désirer, répand sur tout l’ensemble de la composition une grande impression de terreur. A voir ce corps par terre, renversé, presque mort avant même d’avoir été atteint, on sent qu’une force invisible, un mystérieux orage, a précédé l’apparition du cavalier et de ses deux compagnons. Cet orage ou plutôt le souffle de Jéhovah lui-même, on le devine, on l’entend; c’est lui qui agite et soulève ces lourdes tapisseries suspendues aux colonnes. Aussi quelle épouvante chez les complices du sacrilège, chez ces grossiers soldats qui l’ont aidé dans son pillage et s’en vont les épaules chargées de vases d’or et de bijoux sacrés ! Qu’ils soient violemment émus, qu’ils se retournent stupéfaits et comme à demi foudroyés eux-mêmes, rien de mieux; mais pour exprimer leur terreur était-il nécessaire de les rendre si laids? Je défie qu’en Syrie, dans toute l’armée de Séleucus, on eût trouvé la figure de ce premier soldat, à votre droite, dans le coin du tableau. Pour arriver à un profil et à un nez comme celui-là, il eût fallu remonter jusqu’en Thrace, même au-delà de la Propontide. C’est un type de Cosaque, et cette barbarie des visages est ici d’autant plus inattendue qu’elle s’associe à des gestes et à des attitudes d’une ampleur solennelle et presque académique.

Quoi qu’il en soit, malgré tant de témérités, d’étrangetés, d’incohérences, la scène est grande, extraordinaire, attachante et d’un puissant effet. Encore un coup, glissez sur les détails, chassez les souvenirs et les comparaisons, ne pensez ni à Raphaël ni à rien de complet, d’achevé, de fini en peinture, laissez-vous franchement aller, et vous serez, je ne dis pas charmé, mais profondément remué par l’intelligente vie cachée sous ce fracas de couleurs et de. formes. Pour moi, j’aurais tous les regrets du monde que ce nouvel Héliodore n’existât pas, d’abord parce qu’en elle-même l’œuvre est originale et de haute valeur, puis parce qu’elle aide à mieux comprendre l’Héliodore du Vatican. Rien n’enseigne à goûter les douceurs de la paix comme une heure de tumulte. Avant d’avoir connu la chapelle des Saints-Anges, lorsque, rappelant mes souvenirs, je me transportais en pensée devant ce Jules II vainqueur, as-