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tièrement à sa façon? Tout à l’heure nous verrons qu’avec l’Héliodore il en use plus librement, qu’il interprète à sa manière cette page des Macchabées. Sans tout admirer, tout absoudre dans sa version nouvelle, nous comprendrons qu’il s’en soit épris, qu’il ait tenu à la produire, qu’il ait cédé à cette séduction, tandis qu’ici qui l’a poussé ? Pourquoi cette reproduction tout à la fois littérale et infidèle ? A-t-il pensé que pour faire du neuf il suffisait d’élargir le champ de son tableau, d’en rendre la coloration plus vive et plus intense, de détacher la figure dominante sur un de ces nuages phosphorescens dont sa chaude palette possède le secret, ou bien encore d’ajouter à la scène un fond de paysage, morne désert où gisent les cadavres des rebelles dont l’archange a déjà triomphé? Ces accessoires ne sont pas sans poésie, et on y sent la main d’un maître; mais ils ne changent rien au groupe principal, ils ne déguisent pas ce caractère d’imitation dont tout d’abord on est si étrangement frappé.

Ce n’est pourtant qu’une apparence : les deux groupes au fond ne se ressemblent pas. Le saint Michel du Louvre pose franchement le pied sur le corps du démon avant de le percer de cet épieu qu’il tient en ses deux mains; il l’étouffe, il l’écrase, moins du poids de son corps que de sa force surhumaine, car tout en l’écrasant il laisse voir qu’il a des ailes, qu’il est un être aérien : contraste merveilleux qui ne vient pas seulement de ces plumes qu’il porte aux épaules, plumes indiquées sobrement et presque en raccourci, mais d’un certain élan surnaturel imprimé à la figure tout entière. Qu’a fait M. Delacroix pour ne pas copier trait pour trait son modèle? Il a mis de côté ce caractère complexe, cet inexplicable mélange de deux natures contradictoires, cette simultanéité de la force de pression et de la force d’ascension; il n’a cherché qu’à rendre son archange de plus en plus aérien, sauf à lui supprimer toute énergie et toute consistance. Faut-il donc s’étonner si le nouveau saint Michel a cet air grêle et sautillant? Il voltige dans l’air comme un oiseau, comme un ballon. Au lieu de fouler du pied son adversaire, il l’effleure à l’épaule et seulement du talon : pose effrayante en vérité! le point d’appui lui manque, et sans ces grandes ailes déployées il tomberait sur votre tête.

Je ne veux pas insister : de ces trois compositions, celle-ci est, à tous égards et de beaucoup, la moins heureuse. Mieux vaut donc ne s’y point arrêter. Un seul mot cependant pour regretter encore qu’au lieu d’innover ainsi seulement dans le détail, l’artiste n’ait pas pris, comme il lui appartient, un parti vigoureux et retourné de fond en comble les données du sujet. Pourquoi, dans un plafond, conserver cette langue de terre qui sert de base aux personnages? Pourquoi ne pas nous transporter tout franchement dans les