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les mots du rescrit impérial. Ces deux pétitions devaient être signées par tous les électeurs au moment du vote, et c’est ainsi qu’on se présentait au scrutin à la fin de septembre. Les listes électorales adoptées en commun obtinrent presque l’unanimité malgré les tentatives de dissidence de quelques exaltés. Les paysans surtout montraient un grand zèle, et dans tous les districts les électeurs signaient les deux pétitions convenues, qui devaient être remises le 18 octobre par une députation. Une chose à remarquer, c’est qu’on signait dans le plus grand secret, et le secret a même été si bien gardé que le texte de l’une des pétitions n’a point été connu. Par le fait, ces élections, où le parti national modéré avait un immense avantage, imprimèrent à la situation un caractère tout nouveau; elles plaçaient l’agitation sur le terrain des revendications légales, et il fut convenu que les manifestations devaient cesser complètement par la célébration d’une fête religieuse en l’honneur de Kosciusko le 15 octobre. Le 14, l’état de siège était subitement proclamé!

Qu’était-il arrivé? Ce n’était point la crainte de troubles possibles dans la journée du 15 qui faisait recourir à l’état de siège; mais on avait vu se dessiner ce système nouveau d’action que je signalais. Déjà les évêques prenaient l’initiative des revendications légales en présentant une note que le comte Lambert refusait d’accepter. D’un autre côté, l’affaire des pétitions signées pendant les élections commençait à s’ébruiter et inspirait de vives inquiétudes, surtout à Pétersbourg. Enfin c’était le moment où des désordres éclataient en Russie parmi les étudians. Cet ensemble de symptimies effraya, et l’état de siège était proclamé, moins assurément pour empêcher la célébration de la fête de Kosciusko que pour étouffer la pétition qui devait être remise quatre jours après. Or ici cette situation, qui avait paru un moment rentrer dans des conditions toutes politiques, toutes légales, reprenait un caractère dramatique, et l’état de siège transformait la journée du 15 en une tragédie nouvelle qui rouvrait l’ère des réactions et emportait tout.

Ce fut en effet une des plus poignantes journées dans cette succession de journées lugubres. Dès le matin du 15 octobre, le peuple courait dans les églises pour assister aux services funèbres en mémoire de Kosciusko. Les troupes, occupant déjà militairement la ville, n’empêchaient nullement les fidèles d’entrer. Ce ne fut que quand les églises furent remplies que l’armée reçut l’ordre de les cerner; elle arriva tardivement devant quelques-unes, d’où l’on put s’échapper. La cathédrale de Saint-Jean et les Bernardins eurent les honneurs d’un siège véritable. En même temps des nuées de Cosaques se répandaient dans Varsovie, commettant toute sorte d’excès, ne respectant ni les femmes ni les étrangers. C’est un Anglais, M. George