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terdire. » Aussitôt on se mit à l’œuvre, et un autel rustique fut élevé au sommet d’une petite colline. Tout était prêt, lorsque quarante bannières, représentant toutes les provinces de l’ancienne Pologne, se déployèrent, dominées par une immense bannière portant les armes réunies de Lithuanie et de Pologne.

Le tableau était splendide et éclairé par un soleil radieux. Quand la messe fut dite, un prêtre basilien du rite grec-uni se leva, et, s’adressant à cette foule : « C’est aujourd’hui, lui dit-il, que sont réunis pour la première fois les membres mutilés de notre Pologne. Il n’y a pas dans toute notre histoire nationale de fête plus belle, de souvenir plus pur que celui que nous célébrons en ce jour... Regardez cette forêt : autant elle compte d’arbres, autant vous trouverez sur la terre polonaise de tombeaux de braves et de martyrs morts pour notre liberté. Ici comme dans toute la Pologne, tous sont prêts encore au sacrifice de la vie; mais l’heure n’est pas venue. Prions, prions, et alors pas un ne manquera à l’appel. Ne souhaitons pas de mal à nos ennemis; voyez-les aujourd’hui silencieux et immobiles. Il nous regardent et ils comprennent maintenant ce que nous sommes et ce que nous pourrons être. D’un geste, ils pourraient nous écraser, nous renverser palpitans sur le sol; ils se taisent, parce qu’ils sentent bien que derrière nous est tout un peuple, et qu’on ne tue pas un peuple. » Et, se tournant vers la bannière flottante, le prêtre dit en finissant : « Oiseau sans tache, aigle blanc qui jadis distribuas des couronnes et n’en as plus pour toi, plane au-dessus de tes frères et va crier aux quatre coins du monde que tu respires encore! Convoque tes enfans, tes émigrés, tes anciens défenseurs, et montre-leur la route. Tu souffriras, tu souffriras beaucoup; mais un jour tu t’élèveras plus haut, plus haut encore que dans le passé, tu déploieras tes ailes comme pour bénir ta nation libre enfin!...» Puis, après avoir planté une croix de bois à l’endroit où la messe venait d’être dite, toute cette foule s’écoula, emportant le religieux souvenir de cette scène étrange.

Ce n’était là toutefois qu’un épisode de ce mouvement, contagieux comme la passion. La vraie question n’avait cessé d’être à Varsovie, au centre même de l’agitation polonaise; elle précédait et dominait la manifestation d’Horodlo. Je touche ici aux phases diverses de la politique russe et à une de ses fatalités. Qu’on le remarque bien : aux derniers jours de mars, la Russie se montre disposée aux concessions; elle publie des réformes, et aussitôt la réaction éclate, elle est sms limites le 8 avril : des réformes de mars rien ne subsiste pour le moment, ou du moins tout est en suspens. Au mois d’août, après une période de compression et de rigueurs marquée surtout par un antagonisme très vif entre le mar-