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logue en aucun pays, qui se distingue de tous les autres par son air noble et courtois : Riquet à la Houppe. Celui-là n’est pas légendaire le moins du monde; il est visiblement de souche lettrée et aristocratique. A-t-il été inventé un soir pour l’amusement d’enfans nobles par quelque grande dame spirituelle et polie, comme on dit que fut inventée la chanson de Marlborough pour endormir un enfant royal? Une Mme de La Fayette écrivant des contes d’enfans aurait pu vraiment se plaire à développer la donnée de cette allégorie charmante, car ni M. de Clèves ni M. de Nemours ne s’expriment d’un ton plus courtois et ne donnent un tour plus poli à leur parole que le prince Riquet à la Houppe s’adressant à la belle princesse qui soupire après l’esprit qui lui manque. «Il n’y a rien, madame, qui marque davantage qu’on a de l’esprit que de croire n’en pas avoir, et il est de la nature de ce bien-là que plus on en a, plus on croit en manquer. » Mais quelle que soit l’origine de ce conte, on peut le prendre comme le type le plus général et le plus philosophique du merveilleux français. Le sujet est ce thème qui est si familier à l’esprit français, et qu’il s’est plu tant de fois à développer, ce thème que vous rencontrerez dans le Serpentin vert et dans d’autres contes encore de Mme d’Aulnoy, et qui a trouvé dans la Belle et la Bête de Mme Leprince-Beaumont son expression, sinon la plus parfaite, au moins la plus populaire. C’est ce contraste d’une belle âme enfermée dans un corps difforme, d’une divine lumière condamnée à luire à l’intérieur d’une grossière lampe d’argile. Cependant, si l’amour intervient, l’enchantement cesse aussitôt, et à la place du nain contrefait et mélancolique on voit apparaître un jeune prince éclatant de beauté. Qu’est-ce à dire, sinon que la source de toute magie est dans l’âme humaine? En nous siègent les bonnes et les méchantes fées. Ceux que les fées de la tendresse et de la bonté ont choisis pour leur séjour de plaisance laissent avec leurs paroles tomber les roses et les perles, et ceux que les fées de la dureté, de l’envie et de la haine ont choisis pour caverne crachent les vipères et les crapauds. L’amour peut vaincre les redoutables enchantemens de la matière, et délivrer l’âme qui languit captive dans son donjon de chairs mal équarries, ou qui erre désolée, à l’instar de l’antique Psyché, au milieu d’un désert stérile fermé par une forteresse de rochers sans issue. Les fées sont humaines, et les âmes sont fées. Voilà le véritable merveilleux français : il est tout moral, contrairement au merveilleux des autres peuples, qui prend sa source dans la nature. Dans ce contraste est l’explication de la moralité des fées françaises, qui sont doublement humaines et par l’âme et par la nature. Les fées des autres pays n’ont pas d’âme : de là leurs caprices, leur mobilité et cette absence d’affection sérieuse qui les dis-