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peine aux pays de la féerie, complètent ce personnel assez maigre. Quelquefois le merveilleux n’apparaît qu’à la dérobée, ou n’est représenté que par un simple détail. Dans la Barbe-Bleue, il n’y a d’autre fée que la petite clé qui résiste obstinément aux savonnages de l’imprudente jeune femme. Il n’y a rien de merveilleux dans le Chat-Botté, si ce n’est que le chat parle et qu’il porte des bottes, et le seul élément magique du Petit-Poucet se compose des fameuses bottes de sept lieues de l’ogre. Il est impossible de se mettre moins en frais de merveilleux; Perrault, fidèle à son insu aux instincts du génie français, semble moins s’être proposé d’éblouir l’imagination que d’amuser la raison. Ce n’est pas tout à fait à tort que l’illustre Miçkiewicz lui reprochait d’avoir rationalisé le conte; mais ce reproche doit plutôt retomber sur l’esprit de notre nation que sur le bon Perrault, qui n’a été que l’interprète et le secrétaire très fidèle de la muse populaire dont il a rédigé les récits. On serait tenté de dire en effet que ce sont bien les contes qui convenaient au siècle de Descartes, si l’on ne savait que ces récits sont de provenance légendaire et de date incertaine. Un rationaliste ayant des vivacités d’imagination aurait pu les signer; mais il se trouve que c’est le génie populaire de la France même qui a été ce rationaliste. Nous avons donc dans ces petits contes, sous sa forme la plus familière et la plus simple, la manière dont le génie français comprend le merveilleux. Pas de fées à diamans, à saphirs, à grandes richesses, à beauté surhumaine. Les fées françaises, qui avaient toujours eu une inclination à se rapprocher de l’homme et à vivre dans son voisinage, s’en sont tellement rapprochées qu’elles vivent ici sous le même toit que lui, se chauffent au même foyer et mangent à la même table. Elles se sont maintenant tout à fait humanisées, et c’est à peine s’il leur reste de leur ancienne existence une vieille baguette enchantée qui peut au besoin servir de férule. Nous les voyons sous la forme très familière, très respectable, mais nullement merveilleuse, de grand’mères, de marraines, de protectrices bienfaisantes, de belles dames au cœur bien placé. Elles ne sont point toutes riches, ni de grande condition, tant s’en faut. Considérez la marraine de Cendrillon, par exemple, dans la charmante gravure où M. Doré nous a reproduit sa très fidèle et très ressemblante image. Qui ne reconnaît en elle la vieille tante des familles bourgeoises, qui sait l’art de ravauder les robes fanées et de rajeunir les vieux bonnets par quelques aunes de rubans frais et un blanchissage ingénieux? A quelque condition qu’elles appartiennent, ces fées sont fort raisonnables et fort judicieuses; elles n’ont pas de caprices à la Titania, et ce n’est pas elles qui auraient jamais égaré leur amour sur Bottom à la tête d’âne. Elles ont l’horreur des im-