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II. — DE LA LITTÉRATURE DES FEES EN FRANCE.

Il est arrivé aux fées une mésaventure qui arrive fréquemment aux bons génies de notre pays. Ces êtres aimés de toutes les classes de notre société n’ont jamais pu trouver en France un poète digne d’eux. Les fées sont françaises, et cependant leur véritable littérature est à l’étranger. Il semble que l’homme les avait chez nous trop rapprochées de lui, et qu’il les connaissait trop familièrement pour pouvoir raconter noblement les merveilles dont elles sont prodigues. Elles faisaient trop partie de la maison, du voisinage, pour exciter ces sentimens d’admiration et cet enivrement de la surprise qui sont nécessaires à la vraie poésie comme au véritable amour. Trois grands hommes, un Italien et deux Anglais, ont immortalisé leur souvenir et raconté, dans un langage qu’elles peuvent écouter avec plaisir, la période la plus brillante de leur brillante histoire. Si vous voulez connaître les faits et gestes des fées, vous devez les chercher dans Arioste, dans Spenser et dans Shakspeare, Spenser a recueilli tous les nobles enseignemens qu’elles avaient donnés à la chevalerie; Arioste a raconté leur vie mondaine et d’aventures, toutes leurs brillantes, espiègleries, et enfin Shakspeare a raconté leur vie vraiment féerique et aérienne, leurs mœurs enjouées et libres. De ces trois grands hommes, Shakspeare est celui qui les a le mieux connues, qui les a vues de plus près; aussi trouverez-vous dans ses œuvres mille détails curieux sur leur vie intime de libres esprits, et ce qu’aucun autre poète n’a donné avant lui ni depuis, des spécimens de la langue imagée qu’elles parlent, et un recueil des chants qui sont à leur usage. Quant à la France, elle serait presque sans témoignage de leur existence, si nous n’avions pas les contes de Charles Perrault. Le bon Perrault n’est pas leur seul témoin parmi nous, mais c’est le seul certainement qu’elles voulussent avouer. Leur seul historien dans cette France qu’elles ont habitée si longtemps est donc un simple chroniqueur, un anecdotier, une sorte de Pierre de l’Étoile du monde merveilleux qui enregistre les petits faits et les menus détails venus à sa connaissance. Nous voilà bien loin des magnifiques annales que nous citions tout à l’heure.

Tels qu’ils sont, ces contes valent leur réputation, et méritent la faveur dont ils jouissent depuis deux siècles, car ils sont les seules œuvres placées sous l’invocation des fées qui soient des œuvres d’art. Ce ne sont que des fragmens et des documens d’une histoire poétique qui n’a pas été écrite; mais ces documens sont authentiques, et ces fragmens sont d’une naïveté précieuse. Ils sont petits et modestes, mais dans leur modestie ils possèdent ce charme