Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à leur amour, même leurs dons magiques, qu’elles savent en péril, même leur immortalité. Elles renoncent volontiers aux privilèges de leur race et à la compagnie de leurs sœurs pour vivre dans la solitude avec celui qu’elles aiment. Quand elles sont trahies ou méconnues, leur cœur se brise, et alors elles languissent et meurent. Que de bienfaits leur ont dus nos pères, et que de bienfaits ne leur devons-nous pas nous-mêmes! Elles ont rendu rians pour nous les durs et sombres temps féodaux par les enchantemens de brillante poésie dont elles les ont revêtus. Les chevaliers dont elles pansèrent les blessures, les pages qu’elles formèrent à l’amour, les écuyers dont elles protégèrent la fortune, ont disparu depuis longtemps; mais les devises qu’elles inventèrent, les arabesques qu’elles gravèrent sur la pierre, les chants qu’elles apprirent ou qu’elles inspirèrent aux poètes existent encore. Ces êtres réputés païens ont eu leur part dans la formation du bien moral qui fut propre à cette époque violente, car il est deux vices dont elles ont horreur : la lâcheté et le mensonge. On en a vu protéger capricieusement un perfide, jamais un lâche ou un menteur. Et enfin il ne faut pas oublier qu’il y a dans leur histoire un moment mémorable où elles ont tenu entre leurs mains la fortune de la France. Longtemps avant que l’archange saint Michel apparût à Jeanne d’Arc, elles avaient, invisibles, bercé de rêves de vague héroïsme et de grandeur sans objet l’âme de la noble fille, et l’avaient ainsi préparée à la mission que des esprits d’ordre plus haut que le leur devaient lui assigner. C’est leur grand jour, et cette fois leur bienfait n’est plus poétique et légendaire, il est historique. La Fontaine des Fées restera un lieu à jamais mémorable dans l’histoire du monde.

Voilà l’histoire, le caractère et les mœurs des fées, la véritable création de la France dans l’ordre du merveilleux. Ils sont à nous, ces brillans enfans de lumière et de poésie. Il y a des fées dans tous les pays, mais les vraies fées sont celtiques et françaises, comme dans l’ancien monde les vraies nymphes étaient grecques. Partout ailleurs elles ont été condamnées à l’immobilité de la nature et sont restées attachées à leur chêne, à leur fontaine, à leur source; mais chez nous, participant aux bienfaits de la loi de perfectibilité qui est la loi de l’âme, les gracieuses forces élémentaires sont devenues des personnes et ont pris un caractère humain. Si chaque peuple fait son merveilleux à son image, il n’est pas de miroir qui rende plus exactement la ressemblance du génie sociable, libéral et doux de la France, que l’unique superstition dont il ait aimé à s’enchanter.