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campagne gagne moins que dans la région wallonne, où se sont surtout fixées l’industrie et les exploitations minières.

Sans parler de ces différences, le mal général et profond qu’on ne peut se dissimuler, c’est qu’à peu près partout le salaire des ouvriers agricoles est insuffisant pour faire face aux besoins de leurs familles dans un pays où les denrées atteignent le plus haut prix des marchés européens. La statistique officielle constate elle-même que la population rurale de la Belgique est l’une des plus mal nourries du continent. Les produits de l’agriculture, quelque abondans qu’ils soient, ne suffisent point, dans les circonstances actuelles, pour donner à tous une alimentation convenable. Ainsi lors du dernier recensement, en 1846, la quantité de froment disponible, déduction faite de la semence et des consommations de l’industrie, ne montait pas tout à fait à 4 millions d’hectolitres, ce qui réduisait la part de chaque habitant à moins de 1 hectolitre. À cela il faut ajouter, il est vrai, plus de 1 hectolitre 1/2 de céréales inférieures, 2 hectolitres 1/2 de pommes de terre, une dizaine de kilos de viande et beaucoup de légumes ; mais il n’en paraît pas moins certain que la population est mieux nourrie en Angleterre et en France. La répartition du produit brut donnait par tête de 130 à 140 francs pour la France, de 140 à 150 francs pour l’Angleterre, et seulement 110 fr. pour la Belgique. Heureusement, depuis la date du dernier recensement, la condition des classes laborieuses de la campagne s’est améliorée. La production s’est accrue plus rapidement que la population, et ainsi la part de chacun est devenue plus grande. Le prix du grain n’a pas baissé, celui de la viande et du beurre a au contraire monté encore ; mais en proportion l’augmentation des salaires a été plus forte, dans les provinces méridionales du moins. D’ailleurs il ne faut point juger du sort des ouvriers agricoles uniquement par le taux de la rétribution qu’ils reçoivent. À ce compte, on trouverait ordinairement leur budget en déficit, car on arriverait à ce résultat, que tout ce qu’ils gagnent suffit à peine pour les nourrir, eux et leurs familles, et qu’il ne leur reste rien pour rhabillement et les autres besoins. Or, sous le rapport du vêtement, on remarque un progrès très sensible. Les ouvriers ruraux et surtout leurs femmes sont beaucoup mieux vêtus qu’autrefois. Il s’introduit même dans leur costume un soin et une recherche de la mode du jour qui s’éloignent des antiques habitudes de la campagne, et qui se rapprochent de plus en plus de celles des villes. Si ces améliorations sont possibles, c’est que l’ouvrier agricole trouve dans le lopin de terre qu’il cultive[1] des ressources

  1. En Angleterre, la location de parcelles de terre aux ouvriers a été l’objet de très vives critiques que M. Stuart Mill a résumées avec sa sagacité habituelle dans ses Principes d’Economie politique. On reproche à ce système d’abord d’enlever aux grandes exploitations la complète disposition des travailleurs, occupés chez eux précisément au moment où on a le plus besoin de leurs services, ensuite de n’améliorer le sort de l’ouvrier qu’en apparence, puisque les ressources qu’il obtient de la parcelle qu’il cultive lui permettent d’offrir ses bras a meilleur marché. Je ne veux point juger la valeur de ces objections en ce qui concerne l’Angleterre ; mais en Belgique, sans le petit champ qu’ils louent, les ouvriers des campagnes ne sauraient subsister, et l’ardeur qu’ils mettent à se disputer ces parcelles parait une preuve certaine du besoin qu’ils en ont.