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cesses, amantes fidèles des oiseaux bleus et des serpentins verts, à côté de Melechsala la Musulmane ou de Libussa la Bohémienne? Remarquez aussi cette différence essentielle, et qui est toute au désavantage des contes français : lorsque vous lisez les contes allemands, à quelque âge que vous soyez arrivé, vous y prenez le même plaisir que l’enfant. L’auteur semble avoir cru que l’enfant se conservait dans l’homme, et que pour le voir apparaître il suffisait de prononcer à tout âge le Sésame, ouvre-toi des jeunes années. Au contraire, les conteurs français semblent croire que l’enfant est effacé par l’homme, et que ce qui convient à l’un ne saurait convenir à l’autre. Aussi leurs prestiges vous laisseront-ils froid si vous avez dépassé cet âge bienheureux de l’enfance, car vous vous apercevrez bientôt que c’est à lui qu’ils s’adressent exclusivement. Les portes des royaumes merveilleux se ferment sans retour pour le Français dès qu’il est arrivé à l’adolescence. Les contes étrangers sont des œuvres d’art et de poésie, les contes français sont presque toujours des œuvres d’éducation. Comment donc trouver du charme à des œuvres qui depuis longtemps ne sont plus faites pour vous! Autant vaudrait essayer si vous pourriez entrer dans votre habit de première communion, ou si vos pantalons de la dixième année vous iraient encore.

Toutes ces réflexions étaient si justes et ces appréhensions étaient si bien fondées, que nous devons avouer qu’ayant persisté, en dépit de nos pressentimens, à repasser encore une fois cette vieille littérature de notre enfance, nous n’avons pas retrouvé ces voluptés d’imagination que nous aurions certainement goûtées si le conteur, au lieu de s’appeler Mme d’Aulnoy, Mme Leprince-Beaumont, ou même Charles Perrault, s’était appelé Tieck ou Musœus. Le pouvoir magique de la plupart d’entre eux s’était bien décidément évanoui avec les années, et cependant notre témérité n’a pas été punie comme on pourrait le penser. Nous n’avons pas trouvé dans ces vieux contes ce que nous y cherchions, mais nous y avons trouvé autre chose. A la place du plaisir tout poétique et tout Imaginatif que nous attendions, nous avons rencontré un plaisir d’un ordre tout moral et tout humain, et si nous avons rarement aperçu les visages des fées, en revanche nous avons bien distinctement reconnu quelques-uns des traits les plus marqués de la physionomie française. Croiriez-vous, par exemple, que rien ne prouve mieux que nos contes de fées combien le Français est un être humain, sociable et fait exclusivement pour la société de l’homme? C’est cette image de la sociabilité française que nous voudrions présenter au lecteur à l’aide du modeste, mais aimable miroir magique où les fées ont aimé à se contempler dans notre pays.