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splendide des contes de Perrault qu’un éditeur hardi, associé à un brillant artiste, a offerte en étrennes au public français, pour relire les vieux contes qui enchantent tour à tour depuis deux siècles chaque nouvelle génération. J’ai voulu repasser par les sentiers de l’enfance et savoir si je pourrais être ému encore de ce qui m’avait ému autrefois. Averti comme je l’étais par l’expérience, je n’ai pas accompli ce projet téméraire sans beaucoup d’hésitation. A l’exception des personnages des contes de Perrault qui, ayant acquis droit de cité dans le royaume de l’art, méritent qu’on renouvelle de loin en loin connaissance avec eux, nous n’avions plus revu aucun des personnages de ces vieilles histoires. Était-il bien prudent de chercher à les revoir, et n’allions-nous pas les trouver bien déchus? Les vrais habitans du pays réel des fées avec lesquels les lectures des grands poètes nous ont familiarisés ne les feraient-ils pas apparaître bien chétifs et bien pâles’? Quoi! relire les aventures de Serpentin-Vert et du Nain-Jaune, lorsque nous avons connu familièrement Puck et Caliban? rendre visite à la bonne Chatte-Blanche, lorsque nous avons rêvé dans les palais d’Oberon et de Titania? écouter les leçons morales de tous ces princes discrets, patiens, avenans, lorsque nous avons vu à l’œuvre les vertueux chevaliers de Spenser? prêter l’oreille à toutes ces histoires de dragons volans et de meubles enchantés, lorsque nous avons monté l’hippogriffe d’Astolphe et bu dans la coupe que ne voulut pas vider Renaud? Les œuvres des grands poètes, voilà les véritables royaumes de la féerie, dont ces vieux contes ne sont que les vestibules et les chambres de nourrice. Ces œuvres modestes nous ont préparés à comprendre les splendeurs que le génie humain devait nous présenter plus tard : ils ont aidé ainsi à notre éducation morale, et grâces leur en soient rendues; mais quel plaisir le rose-croix pourrait-il prendre à recommencer pour son propre compte les épreuves de l’initiation?

Était-il même bien nécessaire d’évoquer le souvenir des grandes œuvres de l’imagination humaine? Le souvenir des contes et des légendes d’origine étrangère ne suffirait-il pas à lui seul pour rabaisser dans notre esprit le mérite de nos pauvres contes d’origine française? Qu’est-ce, je vous prie, que les apothéoses théâtrales et les flammes de Bengale de nos histoires de fées à côté des splendeurs de tous ces contes allemands, bohèmes, serbes, russes, orientaux, dont les érudits et les curieux de notre époque chercheuse ont ébloui les yeux des lecteurs contemporains? Combien pâles et insignifiantes sont toutes les aventures des princes et des chevaliers de la féerie française à côté des aventures d’Egbert à la blonde chevelure et du loyal Eckart! Et que sont nos aimables prin-