Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul jetait parfois un regard mélancolique sur les pâturages où paissaient les vaches tranquilles ; la ferme du Cormier et ses paisibles habitans lui revenaient en mémoire, et il soupirait.

Mais, quand arrivait l’hiver, la troupe avait souvent de grandes privations à endurer. Il est vrai que le signer Barboso, en homme prudent, choisissait toujours pour hiverner quelque petite ville voisine de la Méditerranée ; il aimait à se chauffer au soleil comme les lézards, et prétendait que le feu est funeste à la santé. Cependant il y avait des pluies, parfois même des froids piquans, sous le beau ciel de la Provence. Dans ces jours néfastes la troupe, réduite à faire relâche et mal abritée sous les toiles du cirque, enviait le toit de chaume du plus pauvre paysan. Un soir, — c’était au mois de janvier, — le signor Barboso avait établi son camp dans un gros bourg, à quelques lieues de Marseille. Son premier soin fut de parcourir la localité, à cheval, avec toute sa suite en grande tenue équestre, annonçant au milieu des éclats d’une musique retentissante une représentation extraordinaire qui devait commencer au coucher du soleil ; mais l’homme propose et Dieu dispose. La première étoile allait se montrer sur le bleu du ciel, les quinquets s’allumaient à l’intérieur du cirque, les lampions fumeux lançaient leurs clartés tremblotantes sur les tréteaux dressés près de la porte, les fanfares sonores avertissaient le public que la séance allait bientôt commencer ; quelques enfans, attristés de ne pouvoir payer un billet d’entrée, se consolaient en admirant les costumes extravagans des écuyers et des écuyères, à la tête desquels Fabricio, — le grand Fabricio, — se tenait debout, les bras croisés, en tenue de zéphyr, les ailes au dos. Tout à coup un vent glacial se mit à souffler ; le mistral, si redouté des Provençaux, s’abattit avec fureur sur la toute petite ville qui avait le bonheur de posséder ce jour-là le cirque du signor Barboso. La place fut déserte en un instant : les habitans s’empressèrent de fermer portes et fenêtres ; ils se blottirent au fond de leurs logis comme des limaçons au fond de leurs coques. Les lampions s’étaient éteints ; trois personnes qui avaient eu le courage de prendre des billets redemandèrent leur argent. Le public dut renoncer au spectacle impatiemment attendu, et le signor Barboso à la recette dont il avait grand besoin. Tous les sujets de la troupe coururent s’abriter dans les chariots ; Fabricio, morne, consterné, ayant jeté sur son brillant costume une couverture de cheval, se cacha en un coin de l’écurie.

— En vérité, dit le seigneur Barboso, qui soufflait dans ses doigts, c’est avoir du guignon ! Ce mistral ne pouvait pas attendre à demain ?… Tiens, Fabricio, les gens de ce pays-ci ne connaissent pas