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main. La vache et la chèvre du pauvre y paissaient en liberté. Lorsque Valentin découvrit cette lande, elle était occupée par une demi-douzaine de vastes chariots autour desquels s’agitait une troupe de gens à la physionomie étrange. Des chevaux débarrassés de leurs harnais, les uns efflanqués et de haute taille, les autres petits, nerveux, aux longs crins, tondaient avidement l’herbe tendre au bord du ruisseau. Valentin s’arrêta pour examiner à son aise cette tribu voyageuse. Les hommes qu’il voyait ramasser du bois mort et allumer du feu sous les marmites portaient des costumes entièrement nouveaux pour lui, carricks et cabans aux couleurs usées, chapeaux et bonnets de formes extraordinaires. Les femmes, vêtues de robes aux nuances éclatantes, qui peignaient et tressaient leurs longs cheveux noirs devant un petit miroir attaché au tronc d’un arbre, ne ressemblaient point aux dames des villes qu’il avait quelquefois aperçues dans son hameau. Les chevaux eux-mêmes avaient des allures indépendantes qui trahissaient des habitudes nomades. Fort inquiet de cette rencontre inattendue, l’enfant restait immobile sur le bord du chemin, dans l’attitude de la surprise, quand un gros homme, porteur d’épais favoris blancs, et qui semblait être le chef de la tribu, lui fit signe d’approcher.

— Petit paysan, lui dit-il avec un accent étranger, veux-tu garder nos chevaux, tandis que nous allons manger ?

— Plaît-il ? répliqua Valentin, troublé par cette brusque interpellation. Est-ce à moi que vous parlez ?

— Je te demande, petit sauvage, reprit l’homme aux favoris blancs, s’il te serait agréable de veiller sur nos chevaux pendant que nous allons prendre un modeste repas : est-ce clair, cela ?… Tu auras ta part de notre dîner pour ta peine : est-ce entendu ?

Valentin comprit le sens de ces paroles, grâce à la pantomime expressive qui les accompagnait. D’un bond, il franchit le ruisseau qui le séparait des chariots, et, après avoir respectueusement salué l’homme aux favoris blancs, il se mit en devoir d’accomplir la tâche dont on l’avait chargé. Pendant qu’il surveillait les chevaux, toute la tribu voyageuse dînait du meilleur appétit. Le repas terminé, chacun se prépara à faire la sieste. Les femmes s’en allèrent dormir dans les chariots ; les hommes reposèrent, mollement couchés à l’ombre des chênes. La sieste ne dura pas moins de deux heures ; il régnait alors dans la lande un silence solennel que troublaient seulement par intervalles les ronflemens de l’homme aux favoris blancs. Les plus jeunes de la troupe furent les premiers à s’éveiller. Tout aussitôt ils se dépouillèrent de leurs cabans, et, après s’être étirés quelques instans, ils s’élancèrent au nombre de cinq ou six sur l’herbe verte, marchant sur les mains, exécutant en avant et en ar-