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pant les dalles de ses bottes éperonnées, marcher le long des corridors à la recherche de sa tête absente. Cette idée le hanta bien plus encore quand il fut retiré dans sa chambre à coucher, située au second étage, près de la bibliothèque, au sommet de l’une des quatre tourelles. Jamais il n’avait passé une nuit seul dans une chambre quelconque, jamais il n’avait été abandonné dans les ténèbres et dans la solitude aux hallucinations qui traversent parfois le cerveau des enfans. Dans cette tourelle où aucun danger ne pouvait le menacer, Valentin ne cessa de rêver à toute sorte de périls imaginaires. Les animaux les plus inoffensifs, souris effarées, hibous redoutant la lumière, lui causèrent d’incessans cauchemars en trottant derrière les tapisseries et en poussant des cris plaintifs du haut des toits. Il n’y eut de trêve à ses terreurs qu’au moment où l’hirondelle, toujours éveillée avant l’aube, annonça par son gazouillement matinal l’approche du jour. Valentin, comprenant que l’heure des apparitions était enfin passée, sauta à bas de son lit, s’habilla en toute hâte, et descendit quatre à quatre les marches de l’escalier en tenant ses sabots dans les mains. Il tira doucement les verrous de la porte, escalada avec la légèreté de l’écureuil le mur de la cour, contre lequel croissait un vieux if dont les branches lui tinrent lieu d’échelle, et, une fois dehors, il se mit à courir comme un lièvre. Après trois heures d’une marche précipitée à travers les champs humides de rosée, il arriva haletant et fatigué devant la ferme du Cormier. La petite Rosette, qui tricotait près de la porte, l’aperçut aussitôt.

— Est-ce bien toi, Valentin ?… Ma mère, s’écria-t-elle avec étonnement, voilà Valentin qui est revenu !

— Impossible,… dit la fermière.

— En conscience c’est bien lui ! Comme te voilà tout trempé de rosée ! Entre donc, Valentin…

Honteux et craignant les reproches de la fermière, l’enfant approchait avec hésitation.

— Ah ! petit vagabond ! lui dit la mère Jeanne, je parierais que tu as fui du château comme un poulain qui s’échappe de l’écurie… Que va dire Mlle Du Brenois !… Allons, viens ici, mange un morceau, et je vais te faire reconduire au château des Roches… Il n’y a plus de place pour toi dans ma maison depuis que tu en as trouvé une meilleure. — Puis, appelant l’aîné de ses fils : — Jean, lui dit-elle, donne l’avoine au cheval et prends ta veste. Dans une demi-heure, tu partiras avec Valentin.

Celui-ci comprit qu’il n’y avait qu’à obéir ; il eut envie de pleurer, et regarda tristement la petite Rosette, qui se tenait immobile près de la porte et tout effrayée des paroles que sa mère venait de