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au château des Roches, seule dans cette vaste demeure. Donnez-moi cet enfant ; je l’élèverai avec tendresse, et je tâcherai de faire son bonheur.

— Il est bien à vous, si vous voulez le prendre, mademoiselle, répondit la fermière ; il sera plus heureux avec vous qu’avec moi.

— Et toi, mon enfant, veux-tu venir habiter le château des Roches ?

À cette question que lui adressait Mlle Du Brenois, Valentin répondit par un signe de tête négatif.

— C’est comme un fait exprès, dit la fermière ; il suffit qu’il y ait du monde pour qu’il ne veuille rien dire. Il est pourtant bien gai, le petit gars ; ce n’est pas parce que je l’ai élevé, mais il est tout à fait aimable et bien avisé !…

— Voyons, mon enfant, ajouta Mlle Du Brenois en le prenant dans ses bras, veux-tu être mon fils, Valentin ? Tu demeureras avec moi, je te donnerai de l’instruction, tu seras militaire, si cela te plaît, et un jour tu porteras un bel uniforme comme mon neveu, qui est capitaine de hussards.

Pendant qu’elle parlait ainsi, l’enfant levait peu à peu les yeux ; son visage s’épanouit : il regarda en souriant Mlle Du Brenois, et répondit tout bas : — Je veux bien m’en aller avec vous…

— Voilà qui est arrangé, dit en se levant Mlle Du Brenois ; fais ton paquet, Valentin, et partons.

Le paquet fut bientôt prêt ; la mère Jeanne adressa quelques paroles d’adieu à Valentin en lui recommandant de se montrer docile et reconnaissant envers Mlle Du Brenois, puis elle le congédia sans émotion. Au fond de son cœur, elle remerciait Dieu d’être débarrassée du fardeau qu’elle avait accepté sans murmurer. Les enfans de la fermière avaient la même pensée ; peut-être même étaient-ils jaloux de l’intérêt que témoignait à l’orphelin une dame aussi riche et de l’heureux avenir qui l’attendait. Quant à la petite Rosette, elle se mit à sangloter. Valentin, trop jeune encore pour travailler aux champs, passait chaque jour de longues heures avec elle ; ils allaient ensemble chercher des nids, cueillir des bluets et ramasser des noisettes le long des haies. Qu’allait-elle devenir sans lui ?

— Mes enfans, dit la fermière, quand la voiture se fut éloignée, Mlle Du Brenois a beau être bien riche ; jamais je n’aurais consenti à lui céder l’un d’entre vous. Ceux que Dieu m’a donnés, je les garde, il m’aidera à les élever ; mais un orphelin appartient à qui le réclame.

Trois lieues de pays séparaient la ferme du Cormier du château des Roches, triste manoir du temps d’Henri IV, situé au centre de