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la porte, il se mit à regarder par le trou de la serrure. Sa surprise redoubla quand il vit la petite dame se débarrasser de sa pelisse noire, la déposer entre les mains de son laquais, et s’avancer d’un pas rapide, parée d’une robe de soie aux couleurs éclatantes. Cette fois il crut avoir devant lui la Belle au bois dormant, dont on lui avait raconté l’histoire pendant les veillées d’hiver, et qu’il avait vue si souvent représentée au naturel dans les images que les colporteurs vendent à travers les campagnes.

Mlle Du Brenois salua d’un sourire affectueux les habitans de la ferme, qui la regardaient avec ébahissement ; puis, s’adressant à la mère de famille : — Ma bonne Jeanne, dit-elle, continuez votre repas, je vous en prie… Quand on a travaillé, on a bon appétit, n’est-ce pas, mes enfans ?

— Vous êtes bien bonne, mademoiselle, répliqua la mère Jeanne avec embarras.

— Voyons, Jeanne, reprit Mlle Du Brenois, vous êtes un peu surprise de me voir, n’est-il pas vrai ? Vous cherchez vainement à deviner le sujet qui m’amène… Je vais vous le dire, ma bonne femme. Vous êtes veuve, vous avez cinq enfans à élever…

— C’est bien vrai, mademoiselle, quatre garçons et une fille qui n’a pas dix ans… Les garçons sont à demi grands, ils travaillent de bon cœur, et nous nous tirerons d’affaire, s’il ne nous arrive rien ; mais, c’est égal, ça nous tient bien !…

— Et, quoique vous soyez chargée de famille, reprit Mlle Du Brenois, vous avez pris avec vous un orphelin, un gentil petit garçon dont on m’a parlé au château, et que j’ai rencontré tout à l’heure. J’avais mis pied à terre et je marchais au bord du ruisseau, quand il y vint lui-même avec ses vaches… Mais où est-il donc ? Je ne le vois pas ici…

— Valentin, Valentin ! cria la mère Jeanne ; où donc est-il allé ?

— Ma mère, dit tout bas la petite Rosette, je sais bien où il est… Tenez, là, dans le cellier…

La mère Jeanne fit signe à l’aîné de ses garçons d’aller chercher le fugitif, qui ne tarda pas à paraître. Il avait la tête basse, et tenait ses grands yeux bleus inclinés vers la terre.

— En vérité, dit Mlle Du Brenois, je ne puis comprendre pourquoi je lui cause tant de frayeur !…

— Que voulez-vous, mademoiselle ! dit la mère Jeanne. Ça ne voit personne, c’est timide… Allons donc, vilain laid ; veux-tu bien te tenir droit et dire bonjour…

— Laissez-le, laissez-le, dit Mlle Du Brenois ; ne le faites pas pleurer… Cet orphelin que vous avez charitablement recueilli sous votre toit, Jeanne, je vous demande de me le céder… Je suis seule