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leurs cornes, lançant des ruades, s’effrayant l’une l’autre. Valentin essayait vainement de les calmer ; elles fuyaient toujours, ne s’arrêtant que pour reprendre haleine et regardant autour d’elles d’un air inquiet.

— Ah ! les vilaines bêtes ! criait Valentin, rudement secoué par le trot de son cheval, dont il tenait la crinière à deux mains ; si elles s’engagent dans la grande route, jamais je ne pourrai les ramener à la ferme…

La pensée de rentrer à la ferme sans son troupeau plongea l’enfant dans un véritable désespoir. Il s’arrêta et se mit à pleurer. Les vaches, n’entendant plus derrière elles le trot du cheval et la voix du pâtre, firent halte à leur tour, et semblèrent se demander pourquoi elles avaient couru si vite et si loin. Après un moment d’arrêt, elles rebroussèrent chemin, au pas, tranquilles et calmes, comme il convient à d’honnêtes animaux qui consentent à vivre dans la servitude. La chèvre, qui cherchait par ses bêlemens répétés à maintenir près d’elle ses deux chevreaux, reprit sa place à l’avant-garde, et Valentin, toujours effrayé, mais un peu consolé de voir son troupeau rentré dans l’ordre, regagna tout doucement le chemin de la ferme. Il essuya ses larmes, et s’il ne chantait plus, les merles perchés sur les buissons sifflaient avec un tel entrain qu’on eût dit qu’ils voulaient lui faire oublier ses craintes et sa mésaventure. Enfin les vaches arrivèrent dans la cour de la ferme, et chacune d’elles reprit sa place devant la crèche, tandis que le jeune pâtre fermait sur son cheval la porte de l’écurie.

Valentin se garda bien de parler à personne de ce qui venait de lui arriver. Midi sonnait à la petite horloge de la ferme ; c’était l’heure du dîner. Les assiettes fumantes venaient d’être rangées autour de la table, et tous, petits et grands, mangeaient de bon appétit, quand la mère de famille, allongeant la tête du côté de la fenêtre, dit avec l’accent de la surprise : — Une voiture qui vient par ici ! — Chacun se leva, tenant sa cuiller à la main, et se dirigea vers la porte.

— En conscience, c’est un carrosse avec deux chevaux et deux domestiques galonnés ! s’écria une petite fille…

— Veux-tu te taire. Rosette, reprit la mère de famille ; c’est Mlle Du Brenois, celle qui habite le château des Roches…

Le carrosse, qui marchait vite, parut bientôt devant la ferme. Tandis que le cocher demeurait immobile sur son siège, le laquais ouvrit la portière et abaissa le marchepied. Du fond de la voiture sortit la petite dame vêtue de noir dont la vue avait si fort effrayé Valentin une demi-heure auparavant. L’enfant ne l’eut pas plus tôt reconnue, qu’il courut se cacher dans le cellier, et, blotti derrière