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ceux qui soutiennent, avec Bastiat et avec l’économiste américain Carey, que la rente est toujours le résultat d’un travail d’amélioration exécuté sur la propriété. En Belgique, plus peut-être qu’ailleurs, on voit s’élever le revenu de tous les biens sans exception, même de ceux en faveur desquels aucun sacrifice n’a été fait. Il faut donc bien reconnaître ici l’effet d’une loi générale, et en revenir, pour l’expliquer, à la théorie de Ricardo, qui seule rend compte des faits partout constatés. La population s’accroît, la demande des produits du sol augmente ; par suite, ceux-ci deviennent plus chers, les profits du cultivateur s’élèvent, la rente ne tarde pas à monter en proportion, et tout le bénéfice, en dernier résultat, finit par se concentrer aux mains du propriétaire foncier.

Si la condition du possesseur de terre se présente ainsi sous des couleurs extrêmement favorables, celle du fermier est loin d’offrir le même tableau. Dans les districts où domine relativement la grande culture, le sort des cultivateurs locataires est sans doute plus heureux que dans la région de la petite culture ; mais là même où la concurrence a le moins surélevé la rente, il est certain qu’ils ne retirent pas de leur capital d’exploitation les 10 pour 100 que l’on considère comme la juste rémunération de leur industrie et des risques auxquels ils exposent leur avoir. Sous ce rapport, les fermiers anglais jouissent d’un incontestable avantage. La différence est même si grande qu’elle demande quelques mots d’explication.

La petite propriété et la petite culture, quand le cultivateur possède le sol qu’il fait valoir, ne donnent généralement que de bons résultats. Le petit propriétaire, assuré de recueillir tous les fruits de son travail, ne néglige rien pour le rendre aussi productif que possible, et presque toujours il y réussit. Alors non-seulement le produit brut est considérable, mais la part qui en reste aux# mains de ceux qui exploitent la terre est fort grande aussi, double résultat également désirable sous tous les rapports. Il n’en est pas de même quand le sol est partagé entre un grand nombre de propriétaires qui ne cultivent pas eux-mêmes les terres qui leur appartiennent. Dans ce cas, le produit brut peut encore être très élevé ; mais la condition de ceux qui le créent n’est point ce que les sentimens d’équité feraient désirer qu’elle fût. Tous ces petits propriétaires n’ont qu’un but, élever le fermage aussi haut que le permet la concurrence des locataires. Comme leurs besoins dépassent généralement leurs ressources, rien ne les arrête que la crainte de ne pas être payés. L’intérêt de la culture, le sort du fermier et les autres considérations de ce genre ont peu de poids, quand il s’agit d’avoir de quoi vivre suivant le rang qu’on occupe. D’autre part, dans un pays aussi peuplé que la Belgique, le nombre des fils de fermiers qui cherchent à se placer est toujours plus grand que celui des exploitations