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ainsi que moi, que vous n’êtes pas près de revenir dans une ville que vous méprisez si justement. Mon frère est parti, il y a quelques jours, pour augmenter le nombre des chevaliers errans ; ils pourront rencontrer à leur chemin des moulins à vent. Je ne saurais penser, comme nos fameux aristocrates, qu’on fera une entrée triomphante sans combattre, d’autant que l’armement de la nation est formidable ; je veux bien que les gens qui sont pour eux ne soient pas disciplinés, mais cette idée de liberté donne quelque chose qui ressemble au courage, et d’ailleurs le désespoir peut encore les servir ; je ne suis donc pas tranquille, et de plus quel est le sort qui nous attend ? Un despotisme épouvantable : si l’on parvient à renchaîner le peuple, c’est tomber de Charybde en Scylla, il nous faudra toujours souffrir. Mais, ma belle, c’est un journal que je vous écris contre mon intention, car toutes ces lamentations-là ne nous guériront de rien ; pendant le carnaval, elles doivent être plus sévèrement proscrites. Je vous dirai une triste nouvelle pour moi, c’est que j’ai égaré votre lettre ; je ne sais plus votre adresse ; si celle-là vous parvient, je vous prie de me le mander tout de suite. Mme Malmonté est partie pour la campagne avec Mme Malherbe, et je ne sais à qui avoir recours ; c’est pourquoi je ne veux en rien faire connaître mon nom à ceux qui pourraient à votre place, et contre ma volonté, prendre lecture de mon griffonnage.

« Je reprends ma lettre, qui a dormi plusieurs jours, ma très belle, parce qu’on nous annonçait de grands événemens que je voulais vous mander, et rien n’est arrivé ; tout est en paix malgré le carnaval, dont on ne s’aperçoit pas ; les masques sont défendus ; vous trouverez cela juste. M. de Faudoas est de retour ; on ne sait pourquoi, personne ne comprend sa conduite. Servez-moi d’interprète auprès de Mme L…, et l’assurez de mon respectueux dévouement. Adieu, mon cœur. »


LA MÊME À LA MÊME.
Mai 1792.

« Je reçois toujours avec un nouveau plaisir, ma belle amie, les témoignages de votre amitié ; mais ce qui m’afflige, c’est que vous soyez indisposée. Il paraîtrait que c’est une suite de la petite vérole. — Il faut vous ménager. — Vous me demandez, mon cœur, ce qui est arrivé à Verson ; — toutes les abominations qu’on peut commettre, une cinquantaine de personnes tondues, battues, des femmes outragées ; il paraît même qu’on n’en voulait qu’à elles. Trois sont mortes quelques jours après ; — les autres sont encore malades, au moins la plupart. — Ceux de Verson avaient le jour de Pâques insulté un national et même. sa cocarde : c’est insulter un âne jusque