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la surface du pays. Ils se trouvent agglomérés tout spécialement dans quelques-uns de nos départemens du sud et dans la petite région de l’ouest qui s’occupe le plus particulièrement de les produire. Dans les écuries du nord de la France, ils ne constituent au contraire qu’une très rare exception.

Les précieuses qualités du mulet sont incontestables. Il est sobre, robuste, il a le pied sûr, il est, pour le service du bât, supérieur au cheval, et il dure longtemps. C’est donc bien la bête des pays de montagnes un peu arides et aussi la bête du midi, où il résiste au chaud mieux que ne le fait le cheval, tout en se contentant d’une nourriture médiocre. C’est encore la bête qu’emploie presque toujours de préférence le petit meunier de campagne, lorsque, assis sur le sac dont est chargée sa monture, calculant d’avance les fraudes qui lui permettront de faire plus grosse que ne le préciserait une conscience délicate la part à laquelle il a droit, et trompant par le bruit de son fouet et le refrain de ses chansons la solitude des longs chemins, il va de chaumière en chaumière chercher les grains qu’on lui confie et rapporter les farines qu’il confectionne. Toutefois le mulet a ses défauts; qui n’a pas les siens? Il est entêté et vindicatif; comme l’âne, il souffre des mauvais temps, de la pluie et des brouillards; aussi le nord, qui d’ailleurs élève beaucoup de chevaux, n’adopte-t-il pas le mulet.

La mule, quoique moins forte que le mulet, se vend plus cher; la faveur dont elle jouit doit être attribuée à son caractère, qui est plus doux, et à sa santé, qui est meilleure. « Pour moi, écrivait Jacques Bujault, quand j’ai deux belles mules à ma charrue, j’ai soixante ans de moins, et suis le paysan le plus glorieux de la terre. » Grâce à la taille et à la race de l’âne, grâce surtout aux qualités spéciales que l’ancienneté des accouplemens avec la race asine a infusées dans le sang des bêtes chevalines du pays, c’est dans le Haut-Poitou que l’on obtient les produits les plus beaux et les plus estimés. Dans les montagnes du centre de la France, les mulets sont agiles et légers; dans les Pyrénées, ils sont grands et minces; mais dans les autres contrées où l’on en fait naître, même dans les provinces de l’est, où cette industrie devient un peu plus active qu’autrefois, leur physionomie manque en général d’un caractère constant, parce que les parens employés à cette production sont eux-mêmes empruntés à trop de familles différentes, sans se préoccuper assez de compenser chez la jument, par des proportions contraires, la croupe et le poitrail étroits, la tête grosse et l’encolure courte qui distinguent l’âne. Entreprise ainsi au hasard, souvent avec des jumens de rebut, toujours avec des bêtes qui n’ont point reçu de leurs ancêtres une prédisposition particulière, la façon du mulet