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coup deux bêtes trop disparates. On marchera plus sûrement d’ordinaire en se hâtant moins, en ne cherchant pas à corriger plusieurs défauts à la fois, en ne travaillant à un nouveau progrès qu’après avoir bien acquis la fixité d’un premier mérite. Il peut donc être sage de revenir, suivant les effets qui surgissent, tantôt au sang améliorateur, tantôt au sang à améliorer. Le point qu’il convient de ne pas dépasser est du reste limité par les modifications économiques en vue desquelles le croisement lui-même a été essayé. C’est ainsi que l’amélioration générale des voies de communication a eu pour résultat en France de restreindre peu à peu l’élève du bidet et des autres chevaux de selle, remplacés par des chevaux de trait plus ou moins légers. C’est ainsi encore que le perfectionnement des ressources alimentaires du bétail et le haut prix de la viande font depuis quelques années introduire sur beaucoup de domaines, comme types reproducteurs nécessités par un prochain avenir, des bêtes spécialement aptes à s’engraisser plus jeunes que celles dont on s’occupait autrefois.

On a fait beaucoup de bruit, dans le monde agricole, autour de ce mot de spécialisation. Les uns se sont disputé l’invention de la chose, les autres l’invention du nom. La vérité est qu’aucun de nos contemporains n’a rien inventé de semblable. On a créé des races, des variétés nouvelles pour mieux répondre à des besoins nouveaux; mais la conformité du bétail aux besoins spéciaux qui existent est un fait de toute antiquité. Le cheval de selle que nous citions tout à l’heure nous en fournit une preuve irrécusable. Quant aux animaux des espèces bovine et ovine, ils étaient moins façonnés en vue de la boucherie, parce que l’importance de la boucherie n’était point alors ce qu’elle est devenue depuis. On se tromperait fort d’ailleurs si l’on croyait que dans une bonne agriculture toutes les bêtes doivent toujours et partout recevoir une destination exclusive. Pour le porc, cela n’est point douteux: pour le cheval, le bœuf et le mouton, la question n’admet pas une réponse aussi radicale. Quoi qu’il en soit, les perfectionnemens opérés en vue de développer l’aptitude des animaux à prendre beaucoup de graisse et à la prendre de bonne heure ont également leurs limites. La chair des bêtes excessivement précoces et très vite ou trop largement engraissées n’est ni aussi agréable au goût ni aussi nutritive que la chair des autres, et en même temps qu’un embonpoint considérable permet moins d’apprécier les formes vraies de l’animal, il diminue souvent sa puissance prolifique. Les verrats et les truies de nos races indigènes sont des reproducteurs plus féconds que les verrats et les truies de plusieurs races dites très perfectionnées; les doubles portées, qui sont assez fréquentes chez des brebis communes, se présentent beaucoup plus