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Pour façonner des animaux qui présentent à un haut degré certains caractères auxquels on attache une grande importance, les éleveurs empruntent quelquefois, soit à une autre race de la même espèce, soit à une autre espèce, un mâle dans la famille duquel se trouvent déjà fixés les caractères dont il s’agit. Le métis résulte du mariage de deux individus de même espèce appartenant à deux races distinctes; l’hybride provient de l’accouplement de deux individus d’espèces différentes[1], et jusqu’à ce jour le mulet est le seul hybride qu’ait vraiment acquis notre pratique agricole. L’union de deux animaux d’espèce différente a pour ainsi dire quelque chose de contre nature; aussi ne s’observe-t-elle point dans l’état sauvage. Elle est toujours le résultat de la perversité de goûts que finit par engendrer une domesticité remontant à de nombreuses générations, ou bien elle procède de l’intervention volontaire de l’homme; mais dans aucune des deux circonstances elle n’est très facile à obtenir. La jument se montre beaucoup moins féconde avec l’âne qu’avec le cheval; le bouc et la brebis produisent dans l’Amérique du Sud ces pellons dont l’industrie convertit la dépouille en tapis, en couvertures de selle, tandis que sous notre climat leur union reste stérile. En tout cas, lorsqu’un produit nouveau résulte d’un mariage entre parens d’espèces différentes, quelque voisines qu’elles puissent être, l’hybride obtenu demeure infécond. Les rares exemples du contraire que l’on prétend citer sont le plus souvent contestables, et ne s’appliquent qu’à des femelles, jamais à des mâles.

Entre animaux de même espèce qui diffèrent seulement de race, le mariage ne présente ni de semblables difficultés ni de semblables conséquences. Les parens se recherchent plus volontiers, et le fruit de leurs amours, fécond comme eux-mêmes, participe tout à la fois des qualités du père et de celles de la mère. C’est par ce procédé qu’on crée chaque jour de nouvelles variétés d’animaux, dont plusieurs deviennent pour l’agriculture d’un intérêt extrême, variétés bien plus vite acquises que s’il eût fallu demander à la sélection, c’est-à-dire à l’emploi successif de reproducteurs soigneusement choisis, d’abord dans la même race, puis dans la même famille, le résultat cherché. La méthode des accouplemens consanguins, que les Anglais nomment in and in et les Allemands inzucht, a été celle qu’ont suivie les créateurs de nos meilleures racés pour obtenir les types admirables que nous leur devons. La race durham a été faite ainsi par les Colling, et la race dishley par Bakewell ; mais cette marche est bien lente, parfois même elle peut de-

  1. Voyez à ce sujet dans la Revue les travaux de M. A. de Quatrefages sur l’Histoire naturelle de l’homme et le Croisement des groupes humains.