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Quand la chaleur de l’été dessèche trop le sol de la plaine, il gravit la montagne, au besoin il voyage et conduit son troupeau à plusieurs lieues de distance, parfois bien loin, sur des terres qu’on lui loue. La sécheresse l’a chassé, mais les froids le ramènent, La montagne devient inhabitable; il redescend aussitôt et guide au point de départ toute sa bande voyageuse, qui retrouve l’herbe reverdie pour quelque temps encore, et entassée dans le fenil la provision d’hiver.

L’escarpement des lieux augmente-t-il assez pour que ni le bœuf ni le mouton n’osent s’aventurer dans les précipices, ou bien des broussailles et des pampres offrent-ils un surcroît de fourrages : on a la chèvre, dont le pied agile sait gravir les rochers, atteindre les anfractuosités les plus ardues, et dont le robuste estomac se contente de ce que mépriseraient les autres ruminans. La jachère est-elle, à tort ou à raison, un des procédés de culture habituels, la ferme est-elle étendue : le mouton utilisera l’herbe des guérets : il ramassera les épis oubliés et trouvera sur le domaine un parcours suffisant. Enfin l’exploitation est-elle plus restreinte, on revient aux bêtes bovines, si les racines et les crucifères y poussent abondamment; on y élève des poulains, si la végétation se compose surtout de graminées et de légumineuses. Dans la plupart des fermes, le doute n’est pas longtemps permis : la nature des ressources alimentaires détermine quelle espèce d’animaux on doit particulièrement entretenir; les conditions commerciales et l’état de culture précisent presque aussi nécessairement l’industrie qui paiera le mieux les soins du cultivateur. On n’élève avec profit que dans les pays pauvres, où cependant les chaleurs de l’été ne durcissent pas tellement l’herbe qu’elle soit rendue impropre à la nourriture des jeunes animaux. Dans les pays riches, on se livre plutôt à l’engraissement. Et c’est ainsi que se manifeste une fois de plus l’inexorable partialité de la fortune. Les contrées pauvres auraient besoin de fumier; mais l’insuffisance du sol ne permet guère d’y obtenir cette végétation abondante sans laquelle l’engraissement des bêtes et par suite l’abondance et la bonne qualité du fumier sont impossibles. C’est aux pays déjà riches qu’est réservée, afin de les enrichir davantage, une semblable spéculation. On ne prête qu’aux riches, dit le proverbe. À ce point de vue, il aurait pu dire : on ne donne qu’aux riches, puisque l’élève des jeunes animaux, la seule spécialité des pays pauvres, absorbe au profit des engraisseurs une partie des phosphates contenus dans les terres sur lesquelles se forme la charpente osseuse du jeune bétail.

Quant aux porcs, dont nous n’avons point encore parlé, on conçoit qu’ils trouvent partout leur place, puisqu’ils sont omnivores. Résidus de laiterie, déchets de boucherie ou d’équarrissage, fruits ava-