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avait et il conserve, dans l’institution de l’esclavage et dans la multitude de ses noirs, des causes de retardement. Aujourd’hui le Brésil est peuplé plus que le Mexique; il est bien plus prospère, il compte davantage dans l’aréopage des nations. On le cite comme un des états qui avancent, et le Mexique n’est plus mentionné que comme un de ceux sur lesquels un destin inexorable semble avoir appesanti sa main. L’expérience est si complètement faite aujourd’hui, aux yeux des Mexicains eux-mêmes, de l’impuissance pour le bonheur et la prospérité de leur pays des institutions politiques qu’ils ont essayées, n’en pouvant adopter d’autres, que le moment semble venu où ils iraient au-devant de la monarchie, s’ils étaient rassurés sur la capacité et le caractère du prince qui se présenterait à leurs suffrages.

Le bilan de la république au Mexique est tout entier dans un simple fait, plus éloquent que tous les exposés qu’on pourrait faire des maux dont est affligé ce pays infortuné. Quand fut établie l’indépendance, le territoire de la république comprenait, d’après un relevé dressé par M. Lucas Alaman, 216,012 lieues carrées[1]; aujourd’hui il n’est plus que de 106,067. La perte est de 109,95 lieues carrées, plus de la moitié, que les Américans du Nord se sont appropriées, et dont au surplus ils tirent parti dans l’intérêt général de la civilisation infiniment mieux que les Mexicains ne l’eussent su faire : présage du sort qui attend tout le reste, à moins d’une entière réorganisation du pays.

En septembre 1846 le Mexique a subi ce cruel affront qu’une armée étrangère campât dans sa capitale et que le drapeau étoile des États-Unis flottât en maître sur le palais de son gouvernement. Il y reviendra flotter, ce drapeau, mais cette fois à demeure, si le Mexique ne se régénère par le moyen d’arrangemens politiques tout à fait différens de ceux qu’il subit depuis quarante ans.

L’entreprise de donner un gouvernement régulier et stable au Mexique et, par un gouvernement bien assis, éclairé, libéral, d’y favoriser le développement d’une société avancée, et d’y préparer pour les temps à venir un grand état comptant dans la balance du monde, est faite pour plaire à des cœurs généreux et pour gagner la sympathie d’hommes d’état soucieux des intérêts les plus élevés de la politique française. C’est ce que j’essaierai de démontrer dans une autre partie de ce travail.


MICHEL CHEVALIER.

  1. La lieue dont il s’agit ici est celle du Mexique, de 5,000 vares, ou 4,179 mètres. La lieue carrée fait 1,747 hectares, de sorte qu’il reste encore au Mexique 185 millions d’hectares, soit près de quatre fois la superficie de la France.