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être au moment de rendre au Mexique son autorité sur cette partie du territoire national, et ne succomber que par l’effet d’un hasard de la guerre qui l’a livré à un ennemi déjà vaincu, auquel il ne restait plus qu’un coin de terre dans les provinces qu’il avait voulu usurper. Quand les Français s’emparent du château de Saint-Jean-d’Ulloa et pénètrent dans la ville de la Vera-Cruz en 1838, Santa-Anna leur tient tête, et dans l’action qui s’engage il est mutilé. Enfin dans la plus injuste des guerres que peut citer l’histoire, guerre dont le mobile était l’ambition, non d’un monarque absolu, mais d’une république qui prétend être à la tête de la civilisation du XIXe siècle, quand l’armée des États-Unis a envahi les provinces du nord, Santa-Anna combat avec honneur à la Angostura. Avec une incroyable célérité il transporte dans les défilés de l’état de la Vera-Cruz l’armée avec laquelle il avait combattu dans celui de Cohahuila. Battu sur ce point, il lève une autre armée pour défendre la capitale avec un plan aussi mal exécuté qu’il avait été bien conçu, et mérite l’éloge, que le sénat romain dans des circonstances semblables avait décerné au premier plébéien qui eût obtenu les faisceaux consulaires, de n’avoir pas désespéré du salut de la république. L’étranger envahisseur le considère avec le général Paredès comme l’unique obstacle à une paix qui doit ravir au Mexique la moitié de son territoire, et fait tous ses efforts pour s’emparer de sa personne. Mélange de bonnes et de mauvaises qualités, on trouve en lui un grand talent naturel sans culture littéraire ou morale, un esprit entreprenant sans fixité dans les desseins, l’énergie et le sens du gouvernement avec d’énormes lacunes. Habile à tracer le plan général d’une campagne comme d’une révolution, il est malheureux dans la direction d’une bataille : il n’en a gagné qu’une seule. Il a formé des élèves et a réuni de nombreux lieutenans quand il s’est agi de combler de maux la patrie; il n’a pas su en avoir quand il a fallu résister au canon français à la Vera-Cruz ou à la cavalerie américaine dans l’enceinte de Mexico. »

Jusqu’en 1833, le jeu de Santa-Anna fut de contribuer plus que personne à faire et à défaire les présidens sans prétendre pour lui-même à la magistrature suprême. En 1833 seulement, il prit la dignité pour son compte. Il l’a occupée jusqu’en 1855, mais seulement par intervalles, car il a été forcé de s’en retirer souvent : une première fois en 1836, quand il tomba prisonnier au pouvoir des Américains du Nord, après la bataille de San-Jacinto au Texas, la seconde fois en janvier 1845, la troisième en septembre 1847, après l’invasion du pays par les États-Unis, et enfin en août 1856. Quand il rentra au pouvoir en J.853, il semblait que ce fût pour toujours. Le suffrage universel lui avait conféré la dictature à vie avec le