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la maison de Bourbon, se déclarant prêt à faire les plus grands sacrifices pour la défendre. En même temps, se constituant l’organe de la Nouvelle-Espagne, il demandait la convocation d’une assemblée nationale formée des délégués des différentes provinces. Cette démonstration de la municipalité de Mexico fit une immense sensation dans tout le pays. Le vice-roi, don José Iturrigaray, ne repoussa pas la proposition ; il y fit même bon accueil, et la renvoya à l’audiencia de Mexico pour en avoir l’opinion. L’audiencia, ou cour supérieure de justice, était investie d’une grande autorité, et dans certaines circonstances d’un droit de contrôle sur le vice-roi. Ce haut dignitaire était tenu d’en prendre l’avis dans un grand nombre de cas. Elle formait le fonds de ce qu’on nommait le real acuerdo, conseil qu’il devait consulter dans les affaires importantes. Malheureusement on ne s’était pas contenté de la composer exclusivement de natifs d’Espagne. On avait pris des précautions pour qu’elle personnifiât l’esprit de domination de la mère-patrie dans sa plus grande rigueur. C’est ainsi qu’il était défendu à ses membres de se marier au Mexique, afin qu’ils ne pussent avoir des intérêts différens de ceux de la Péninsule.

L’idée d’une junte nationale, élue par les habitans ou par les conseils municipaux dans lesquels les créoles formaient la majorité, froissait les préjugés et l’orgueil des résidens espagnols qui se considéraient comme les maîtres du pays, sans partage même avec les descendans de la race espagnole qui avaient vu le jour au Mexique. Sur la nouvelle que, dans les circonstances extraordinaires où l’on était placé, le vice-roi Iturrigaray agréait la combinaison qui donnerait aux créoles des droits politiques égaux à ceux dont ils jouiraient eux-mêmes, les Espagnols furent saisis d’indignation comme si c’eût été le renversement des lois divines et humaines. Ils se voyaient noyés dans une masse quinze ou vingt fois égale à la leur, car ils étaient cinquante mille peut-être, soixante-dix mille au plus, et les créoles faisaient bien un million. La conséquence du système électif et représentatif, si l’on avait le malheur de l’introduire, ne serait-elle pas que prochainement des droits politiques fussent conférés aux castes jusqu’alors déclarées ignobles, et même aux Indiens, auxquels le langage ordinaire refusait même l’attribut de la raison[1]? L’audiencia entra dans cette pensée de réprobation plus énergiquement que personne, elle combattit rudement la proposition de l’ayuntamiento de Mexico : celui-ci tint bon, et le vice-roi se mon-

  1. Le terme de gente de razon (personnes douées de raison) était usuellement employé au Mexique pour désigner les blancs, tout au plus les métis. Il était exclusif des Indiens et employé par opposition à leur nom, comme un synonyme de la qualification de blanc pur ou mélangé.