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était allé y recueillir des souvenirs, et qui laissa à ses enfans des champs cultivés en maguey ou aloès mexicain (dont le suc sert à faire une sorte de vin) d’une valeur de plus de 300,000 francs. Il rapporte que d’autres familles indiennes avaient des fortunes de 800,000 francs et d’un million; mais en général l’Indien était pauvre, et dans un grand nombre de cas confiné absolument en un petit cercle tracé autour de son village, où il n’avait que peu de moyens de travail et d’existence.

Les classes de sang mêlé, provenant principalement du croisement des Indiens avec les blancs, et pour une faible partie du mélange des nègres avec les deux autres races, n’étaient guère mieux loties que les Indiens de race pure. Tous ces métis fort nombreux, rangés sous la dénomination de castes, étaient avilis légalement et de fait (infames de derecho y hecho), selon l’expression d’un mémoire de l’évêque du diocèse de Michoacan que nous mentionnerons bientôt. Ils payaient le tribut de même que les Indiens; ils n’étaient pas tenus, comme eux, dans cette perpétuelle minorité qu’on avait imaginée à Madrid pour les protéger, mais ils subissaient beaucoup d’exactions que l’on commettait au mépris de la loi en la tournant ou en l’interprétant d’une manière frauduleuse.

En somme, malgré la protection dont ils étaient l’objet de la part de la cour de Madrid et quelquefois par l’effet malheureux de cette protection mal conçue, le sort de la plupart des Indiens, qui formaient la majeure partie de la population du lexique, restait misérable au moral comme au physique, et il y avait lieu de présumer que cette race, chez laquelle n’était pas éteint le souvenir du temps où elle avait été la maîtresse du pays, pourrait bien à un moment donné se soulever et se porter à tous les excès qu’un ressentiment longtemps comprimé peut inspirer à un peuple qu’on a tenu en dehors des bienfaits et des lumières de la civilisation. Il était urgent depuis quelque temps déjà de pourvoir, par des mesures décisives du genre de celles que peut suggérer le sentiment de la liberté, à l’amélioration de la condition des Indiens : pareillement pour les métis. A la fin du XVIIIe siècle, le gouvernement de la métropole avait reçu sur ce point des avertissemens qu’il eut le tort de négliger. M. de Humboldt a donné entre autres un extrait d’un mémoire qu’un vénérable prélat, l’évêque du diocèse de Michoacan, avait adressé au roi en 1799, de concert avec son chapitre, sur l’état déplorable des Indiens et des castes. Les abus dont les uns et les autres étaient les victimes et l’abaissement moral que l’oppression déterminait chez eux y étaient tracés d’une main ferme. Les malheurs de l’avenir y étaient prédits avec une sinistre clarté, que la bienveillance et l’esprit de charité du pieux évêque ne parvenaient pas à voiler. « Quel attachement, disait-il, peut avoir pour le gouvernement l’Indien