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trouver que ce dernier chœur, que le public a fait répéter, a beaucoup d’analogie avec une agréable mélodie des Vêpres siciliennes de M. Verdi :

La brise souille au loin
Plus légère et plus pure.


Et ce n’est pas le seul hommage que M. Gounod ait rendu à l’auteur de Rigoletto ; mais la musique du divertissement est médiocre, ainsi que l’air que chante Balkis pour exprimer l’amour et l’admiration qu’elle ressent pour le grand artiste dont elle vient de voir la puissance mystérieuse.

L’oublier, lui que j’ai pu voir
De son bras dominant l’espace !

Le duo qui suit, entre Adoniram et la reine Balkis, est une contre-épreuve de la grande scène dramatique du quatrième acte des Huguenots, entre Raoul et Valentine. Ces deux êtres qui s’aiment malgré tant d’obstacles qui les séparent ne trouvent rien à se dire d’intéressant, et l’entrevue se passe en un interminable dialogue, chacun parlant tour à tour sur une phraséologie musicale insipide. L’acte se termine par un quatuor entre Adoniram, Balkis, Benoni et Sarahil, la suivante de la reine. Ce quatuor, d’un très heureux effet, est charpenté à la manière de M. Verdi, c’est-à-dire que le ténor Adoniram tient le motif principal pendant que les autres voix l’accompagnent et le suivent en une progression éclatante. C’est le morceau le mieux construit de tout l’ouvrage. Le troisième acte, qui introduit le spectateur dans une grande salle du palais d’été de Soliman, n’est guère plus riche d’idées musicales que les deux premiers. Ce sont toujours d’interminables récitatifs entre les trois ouvriers conspirateurs, entre Soliman et Adoniram, dont le roi est jaloux et qu’il cherche à perdre par des questions captieuses, entre Balkis et Soliman, que la reine enivre dans une lutte voluptueuse. Ni l’air de Balkis :

Ce n’est pas votre amour, seigneur, qui m’épouvante,


ni le chœur qu’on chante derrière les coulisses pour former une opposition de mélodrame, ne méritent une mention honorable. Au quatrième acte, considérablement réduit, on ne trouve qu’une espèce de quatuor entre Adoniram et les trois ouvriers conspirateurs qui le tuent, et les cris douloureux de Balkis agenouillée aux pieds de son amant expirant. C’est peut-être ce qu’il y a de plus noble et de plus ému dans tout l’ouvrage que cette clameur douloureuse de Balkis et le chœur qui lui fait écho :

O terreur ! ô forfait !

Telle est cette œuvre d’un homme de talent dont nous avons eu si souvent, dans la Revue, à louer les nobles efforts. Le poème de la Reine de Saba est sans doute d’une déplorable indigence, et l’on n’y trouve ni caractères, ni situations ; mais l’insuffisance du poème ne saurait excuser le musicien. Quelques jolis chœurs, un quatuor qui termine le second acte, entièrement imité de la manière de M. Verdi, des lambeaux de mélodies