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notre pays, notamment le jour où les excès d’omnipotence de l’empereur Nicolas contraignaient la France et l’Angleterre à prendre les armes et à faire la guerre d’Orient. Ce n’est pas nous que les théories de M. Jomini devraient embarrasser ; c’est bien plutôt ceux qui accueillent un travail où des analogies sont plus ou moins établies entre le gouvernement français et le gouvernement russe. Pour nous, nous n’admettons pas ces analogies ; nous goûtons peu les leçons de politique venues de Pétersbourg. Le Constitutionnel a plus d’impartialité, et il est bien libre. Pour en revenir à la Russie, qui est seule en question, nous devons regretter sans doute de n’avoir point l’approbation de M. Jomini ; mais assez de bruits nous arrivent de Saint-Pétersbourg pour nous apprendre que nous ne nous sommes pas trompés, que l’article du 15 janvier n’était qu’une peinture fidèle et modérée d’une réalité que tout le monde voit, et la faiblesse même des réfutations ne fait que nous confirmer dans notre sentiment sur la crise où la Russie est engagée.


CH. DE MAZADE.


LA REINE DE SABA.

C’est une chose bien curieuse que le temps où nous vivons ! Rien ne s’y fait simplement : le moindre incident excite la curiosité des passans, et le plus médiocre vaudeville qui se joue sur l’un des théâtres des boulevards fait plus de bruit dans notre monde affairé que n’en a fait la naissance du Misanthrope ou celle d’Athalie. Voilà trois mois que les journaux petits et grands entretiennent l’Europe de l’enfantement laborieux de la Reine de Saba, ouvrage en quatre actes qui a été représenté à l’Opéra le 28 février. Je ne crois pas que le fameux temple de Salomon, où se passe une des grandes scènes du nouvel ouvrage, ait fait plus de bruit dans le monde oriental que le drame lyrique qui va nous occuper. On savait heure par heure où en étaient les répétitions de cette œuvre considérable, et de graves académiciens ne dédaignaient pas de descendre dans l’arène de la publicité pour expliquer au public tout ce qu’il y aurait à admirer dans l’ouvrage longtemps médité de l’auteur de la Nonne sanglante. Nous l’avons vue enfin, cette Reine de Saba, poème de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Gounod, et nous pouvons en parler pertinemment, à la sueur de notre front.

Qui ne connaît la reine de Saba, cette femme du pays de l’aurore qui, éprise de la grande renommée du roi Salomon, quitte son royaume et se rond à Jérusalem pour éprouver la sagesse du fils de David et pour admirer les merveilles du temple qu’il a élevé au Dieu d’Israël ? Elle entre dans la ville sainte avec un grand train, « avec des chameaux qui portent des aromates, de l’or et des pierres précieuses. » Après avoir éprouvé la sagacité de l’auteur prétendu des Proverbes en lui demandant une explication de