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a cru un moment que M. Favre attachait je ne sais quelle sinistre signification au mot officiel. La susceptibilité de M. de Morny, qui a donné lieu à un incident, nous a surpris. Le spirituel président, on le sait, aime à emprunter aux usages parlementaires anglais leur tour raisonnable et expéditif. C’est ainsi qu’il recommandait naguère en termes assez sévères l’abolition de la coutume des discours écrits. Si M. de Morny avait, dans cette circonstance, pensé aux usages anglais, il n’eût point vu un sujet de s’émouvoir dans l’hypothèse d’un projet d’adresse officiel, c’est-à-dire rédigé de concert avec le gouvernement. Il n’y a rien non plus dans une rédaction ainsi concertée qui doive offusquer une opposition sensée. Qu’importe à l’opposition, si elle a le droit d’amendement, que le projet d’adresse soit une formule officielle ? Pour le gouvernement comme pour l’opposition, l’intérêt principal, dans l’accomplissement de cette formalité, devrait être d’épargner à l’expédition des affaires d’inutiles lenteurs. Or qu’y a-t-il au fond de plus inutile et de plus lent que notre mécanisme de commission nommée par les bureaux, passant on ne sait combien de jours à préparer les élémens d’une adresse et à en arrêter la rédaction ? Le système anglais n’est-il pas préférable ? Chez nos voisins, le premier ministre choisit lui-même le membre de la chambre qui proposera l’adresse. La veille de l’ouverture de la session, le membre du parlement chargé de proposer l’adresse assiste au dîner ministériel et reçoit son projet tout dressé. C’est ainsi qu’en Angleterre on fait en une soirée une chose dont nous avons l’art, en France, de ne venir à bout qu’en un mois et demi. Certes il n’y aurait nul dommage que les adresses fussent rédigées, chez nous, dès le premier jour de la session par des membres qu’auraient eux-mêmes choisis, conseillés, contrôlés, les présidens des deux chambres. L’opposition n’aurait besoin que de vingt-quatre heures pour préparer ses amendemens ou sa contre-adresse, et du moins il n’y aurait pas de temps perdu.

Ce qui nous paraît regrettable dans l’ampleur démesurée et l’enchevêtrement des discussions de l’adresse, c’est que non-seulement l’expédition des affaires est retardée, mais que l’unité du travail parlementaire est altérée. Les questions politiques ne sont plus discutées dans l’ordre de leur opportunité et de leur importance ; elles enjambent les unes sur les autres et se nuisent mutuellement. Toute bonne session parlementaire doit pour ainsi dire recevoir son unité et son caractère de la question principale qu’elle est destinée à résoudre. À côté de cette question dominante, il peut y avoir sans doute des affaires d’un intérêt permanent ou accidentel qui doivent être éclairées et déterminées par la discussion ; mais, pour être bien conduites, ces affaires ont besoin d’être traitées séparément et à leur moment. Si l’on examine la nature de la tâche que les circonstances assignent cette année à nos chambres, il est évident que la question dominante de la session devra être la question financière. Asseoir le budget de telle sorte que l’on ne soit plus exposé à des accroissemens inconsidérés de dette flottante,