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même émotion, j’allais presque dire dans le même instinct généreux : la France doit secourir et sauver les chrétiens d’Orient. Cette unanimité m’a profondément touché. Transportez, me disais-je, en Occident ces âmes et ces esprits d’élite : quelles divisions, quelles luttes, quels discords ! Ici, en Orient, quelle union, quelle communauté de sympathie et de zèle ! Orléanistes, légitimistes, bonapartistes en Europe ; ici, Français seulement. Prenez un de ces matelots français que M. le comte de Chambord a visités à l’hôpital de Beyrouth, prenez en Syrie un de nos anciens soldats rencontrés par M. le comte de Paris, prenez un officier de la garde impériale ; princes exilés, matelots malades, officiers d’aujourd’hui, soldats d’avant-hier établis en Syrie, tous ont le même sentiment, tous ont la même cause, tous parlent de la France et de ses devoirs en Orient avec le même amour, avec le même dévouement. Le lien rompu ailleurs se renoue ici par une étreinte de mains entre le prince et le soldat, par une rencontre de pensée et d’émotion entre M. le comte de Chambord et M. le comte de Paris, par un commun enthousiasme pour la gloire de la France. Héritiers de saint Louis ou héritiers du vainqueur dés Pyramides, princes anciens ou princes nouveaux, je les défie, dès qu’ils touchent, par la curiosité du voyageur ou par l’attention du chef d’état, à cette terre de l’Orient, je les défie de ne pas se réunir par je ne sais quelle fusion instinctive de pensées et de sentimens, fusion plus sure et plus sincère que toutes celles qui ont été rêvées par la politique, fusion qu’inspire et qu’affermit le génie de la France.

Ce qui est pour nous un sujet de joie patriotique est pour l’Orient, sachons-le bien, un grand sujet d’encouragement et d’espérance. On réfléchit peut-être moins en Orient qu’en Occident, mais on sent très vivement, et quand les pauvres chrétiens de là-bas voient passer tantôt les soldats que l’empereur des Français leur envoie comme libérateurs, tantôt de nobles jeunes gens et d’illustres pèlerins qu’on leur dit fils et petits-fils de je ne sais combien de rois de France, quand ils voient les uns et les autres s’attendrir sur leurs malheurs et appeler de leurs vœux et de leurs efforts un meilleur avenir, soyez sûrs qu’ils ne cherchent pas à savoir si les uns ont détrôné les autres ; ils se disent seulement, avec un pieux sentiment de reconnaissance et d’espérance, que ces soldats, ces matelots, cet empereur, ces princes de deux branches, je me trompe, de deux exils, tout cela, c’est la France qui aime, qui secourt l’Orient, et qui le délivrera pour lui-même et non pour elle, pour avoir non des sujets, mais des frères de plus de religion et de liberté.


SAINT-MARC GIRARDIN.