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L’Europe a deux choses à faire en Syrie : y développer l’agriculture, le commerce et l’industrie par l’introduction de l’activité et de la richesse européennes, y protéger les habitans en leur assurant la paix et la sécurité. Pour arriver à ce but, il faut à la Syrie deux genres de force, celle qui lui viendra de l’Europe et celle qui lui viendra de son sein : l’immigration européenne et l’organisation défensive des populations chrétiennes. Pour mieux appeler l’immigration européenne, pour mieux l’associer au pays, l’auteur du journal déjà cité, M. le comte de Paris, voudrait même que Beyrouth et Tripoli appartinssent aux populations du Liban. « Les villes de Beyrouth et de Tripoli, dit-il, possédées par une population musulmane, et occupant les débouchés de la contrée, sont pour les Maronites un danger aussi menaçant et une aussi grande cause d’affaiblissement politique que le voisinage des Druses. Les habitans du Liban ne peuvent se mettre en relations avec cette partie du monde que par ces deux places, situées au bord de la mer, au pied de la montagne et à l’entrée des routes qui y pénètrent. C’est là qu’ils font tous leurs échanges, leurs exportations et leurs approvisionnemens ; c’est là qu’ils se trouvent en rapports avec les Européens. Relégués dans leurs vallées isolées, les Maronites seront toujours faibles et divisés tant que ces deux villes seront soumises directement à une influence qui leur est hostile. Le Liban ne sera constitué d’une manière rationnelle, et par conséquent durable, que le jour où, sans blesser les intérêts généraux qui y sont engagés, on lui aura donné pour capitales politiques ses capitales commerciales. »

Je laisse à l’avenir le soin de prononcer sur cette proposition, qui me paraît digne de la plus sérieuse attention, et je reviens à la conclusion que je veux tirer des documens diplomatiques sur la Syrie. Ces documens n’éclairent pas et ils ne pouvaient pas éclairer les événemens qui ont eu lieu récemment en Syrie. Ils ne s’appliquent qu’au passé, puisqu’ils s’arrêtent à la rédaction du règlement organique du 9 juin 1861 ; mais ils expliquent l’avenir tel que l’entend la France. La France a cédé pour le moment sur l’indigénat du commandement en Syrie ; mais elle a soigneusement réservé l’avenir, et si l’expérience, qui se fait en ce moment, d’un gouverneur chrétien étranger au pays ne réussit pas, la France aura le droit de reprendre avec plus d’autorité que jamais son projet de commandement indigène. Il faut, pour accomplir la régénération de l’Orient par lui-même, et c’est ce principe que la France a adopté, dans le Liban comme ailleurs, il faut beaucoup veiller sur le présent et ne jamais engager l’avenir. Nous sommes convaincus qu’ayant si bien pourvu à l’avenir par ses réserves, le gouvernement français surveillera