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peine parmi eux quelques sportsmen. Je ne crois pas que dans cette partie du pays aucun chrétien préfère le service militaire au paiement de la taxe d’exonération. À Marash, la communauté arménienne offrait de fournir son contingent pour le service militaire ; mais je crois que les Arméniens ne faisaient cette offre que pour obtenir d’être déchargés de la taxe, et que s’ils avaient été pris au mot, ils auraient retiré leurs offres. Cependant les chrétiens, selon moi, auraient plus d’avantages à servir dans l’armée qu’à payer la taxe, pourvu que le recrutement se fît avec équité, ce qui jusqu’ici n’est point le cas. Si, au lieu de prendre tous les jeunes gens d’un district et de ne prendre personne dans un autre district, on n’enrôlait que ceux qui ne sont pas nécessaires au travail des champs et au soutien des familles, les soldats chrétiens qui reviendraient de l’armée après sept ans de service seraient bien utiles au pays. Une population qui manque de courage, qui tremble à la vue d’un fusil ou d’un sabre et qui n’ose pas s’approcher d’un cheval ne peut que gagner à mener pendant quelque temps la vie de soldat… Mais les chrétiens en général répugnent à cette idée, faute de goût pour la profession militaire et par crainte des mauvais traitemens[1]. »

Voilà deux consuls, l’un de la Turquie d’Europe et l’autre de la Turquie d’Asie, qui croient que les chrétiens d’Orient ne veulent pas entrer dans l’armée ; mais n’oublions pas que l’un, celui de Prevesa, avoue d’une part que les chrétiens se plaignent de l’injustice qu’on leur fait de les exclure de la profession des armes, et d’autre part qu’il prétend que la formation de corps de troupes chrétiennes mettrait la Porte en danger. Cette réponse prouve bien que la Turquie pourrait perdre quelque chose à l’armement des chrétiens, mais elle ne prouve pas que les chrétiens n’y gagneraient pas quelque chose, et cet avantage les tente, puisqu’ils le réclament. Quant au consul d’Alep, il croit que la population chrétienne gagnerait beaucoup à servir pendant quelque temps ; il se plaint qu’elle n’ait pas le goût des armes, il voudrait même le lui donner.

Le consul de Bosnie ne croit pas non plus que les chrétiens aimassent mieux servir dans l’armée que de payer la taxe, quoique, dit-il, il entende souvent soutenir le contraire. Le major Cox, en Bulgarie, dit que la taxe d’exonération est légère, et que les habitans sont très sensibles aux avantages qu’elle leur procure. Le consul-général de Syrie, M. Moore, à Beyrouth, pense au contraire que les chrétiens préféreraient le service militaire au paiement de la taxe, pourvu qu’ils formassent des régimens purement chrétiens, commandés par des officiers chrétiens ; mais s’ils doivent être incorporés dans des régimens turcs et commandés par des officiers

  1. Papers relating to the condition of christians in Turkey, p. 58.