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des puissances européennes qui leur garantisse leurs vies et leurs biens, ou bien au moins la faculté de quitter leur pays et de chercher en quelque autre lieu la sécurité qu’ils ne peuvent plus avoir dans leurs foyers. Pourquoi resteraient-ils en Syrie seulement pour y trouver un tombeau ? Ceux qui sont tombés victimes des derniers massacres sont tombés martyrs de leur foi et de leur honneur : ils se sont montrés inébranlables sous les coups qui les frappaient ; mais peut-on exiger que cet état de martyre continu s’éternise ? Les survivans des massacres de 1860 peuvent-ils, oubliant une si terrible expérience, se laisser surprendre sans cesse par les mêmes désastres ? Ce ne serait plus la couronne du martyre qu’ils mériteraient, ils tomberaient justement victimes d’un fatal et inexcusable engourdissement. Les puissances européennes ne voudront pas réduire ce peuple infortuné à la nécessité d’abandonner leur terre natale, et au nom de la civilisation, au nom du christianisme, les chrétiens de Syrie espèrent que l’Europe leur assurera les moyens de pouvoir désormais défendre par eux-mêmes leur honneur et leur vie. »

M. Farley a mille fois raison, et il pose la question des chrétiens d’Orient comme il faut la poser devant l’Europe : ou intervenez par vos soldats pour protéger la vie et l’honneur des chrétiens de Syrie, ou permettez-leur d’émigrer d’une terre où ils ne peuvent plus vivre en repos, ou bien faites qu’ils puissent s’armer pour se défendre eux-mêmes contre les dangers qui les menacent. L’intervention, c’est ce qu’avait fait la France, c’est ce qu’il fallait peut-être continuer par l’occupation ; l’Angleterre ne l’a pas voulu. L’émigration, c’est la dépopulation de la Syrie, c’est le désert arrivant jusqu’aux bords de la Méditerranée. L’armement des chrétiens, c’est, dit-on, la guerre civile. Peut-être ; mais que l’Europe daigne se souvenir qu’elle n’a jusqu’ici empêché la guerre civile en Orient que par les massacres. Oui, quand les victimes sont désarmées et dispersées, quand les bourreaux sont armés et enrégimentés, il n’y a pas de guerre civile, cela est vrai ; mais qu’y a-t-il, Dieu de pitié et de justice ! Damas, Deir-el-Kamar, Zahlé et toute la Syrie le savent. Quant à moi, je remercie M. Farley de préférer la guerre civile aux massacres. Veut-on se défier aussi de M. Farley, parce que c’est un publiciste, et que les publicistes un peu dignes de ce nom ont tous un coin de romanesque qui fait que le malheur des peuples opprimés les touche et les irrite ? Eh bien ! consultons cette enquête anglaise ouverte par sir Henri Bulwer, dont j’ai déjà plusieurs fois interrogé les témoignages, écoutons les consuls anglais. J’aime leur consciencieuse véracité, que j’oppose volontiers à la politique des ministres anglais.