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tendant à aggraver, par de nouvelles subdivisions, le régime qui a, selon nous, amené les massacres de 1860. Les cabinets, accueillant nos observations, ont pensé avec nous qu’il convenait d’instituer dans la montagne un pouvoir unique et de le confier à un gouverneur chrétien. »

En demandant pour le Liban un pouvoir unique et un gouverneur chrétien, le cabinet français voulait conserver au Liban « son indépendance administrative, c’est-à-dire le droit traditionnel et reconnu des populations de s’administrer elles-mêmes. » Cette indépendance administrative du Liban a été pendant longtemps un droit que personne ne contestait et que personne même ne songeait à proclamer et à protéger. Ce droit était conforme au vieux régime de l’empire ottoman, où il y avait plusieurs provinces qui jouissaient d’une sorte d’autonomie. Les populations s’administraient et se gouvernaient elles-mêmes ; elles payaient seulement un tribut. L’intolérance administrative sous le nom de centralisation n’avait pas encore pénétré en Turquie ; la manie de l’uniformité y était inconnue. Je ne veux rien exagérer ; il y a cependant des jours où je me prends à croire que de toutes les invasions qu’a subies l’Europe, la plus dommageable a été celle des garçons de bureau. C’est de France, dit-on, qu’elle s’est répandue sur toute l’Europe. La Turquie elle-même a été conquise, et ce jour-là elle s’est crue civilisée. Ce jour-là aussi elle a commencé à faire la guerre à toutes les indépendances locales et provinciales qui existaient dans son sein. C’est alors aussi que l’Europe est intervenue par ses diplomates pour protéger ces nationalités ou ces quasi autonomies mises en péril. Elle n’a pas voulu, et avec raison, que la Turquie administrative fût plus oppressive et plus spoliatrice que la Turquie barbare ; elle n’a pas voulu que le joug de l’écritoire fût plus dur et plus pesant que celui du sabre : elle s’est appliquée à donner au présent sous des formes nouvelles les garanties qu’avait le passé. De là la revendication que la France a faite de la vieille indépendance administrative du Liban, que l’Europe a reconnue et qu’elle a cru établir par le règlement du 9 juin 1861, ce règlement que la Turquie est en train d’abolir, à peine fait et à peine signé. La Turquie ne révoque pas formellement les actes internationaux qu’elle signe avec l’Europe et où elle s’oblige à respecter les droits de ses sujets chrétiens ; elle ne les*exécute pas, et l’Europe tolère ces inexécutions.

Le pouvoir unique et le gouverneur chrétien dans le Liban représentent, aux yeux de la France, l’indépendance traditionnelle du Liban. Le cabinet français aurait voulu plus, il ne le cache pas : il aurait voulu que le gouverneur chrétien du Liban fût indigène. » À la faveur de ce principe, dit la circulaire de M. Thouvenel du 1er juillet 1861, le Liban jouissait, antérieurement à l’année 1840,