Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans. » On sait que ce projet n’eut pas de suite ; quelques mois après, Voltaire vendait sa maison des Délices, et ajoutait deux ailes à son château de Ferney.

Ces explications données, nous reprenons sans commentaire la publication de nos lettres inédites :


« Je suis très touché, monsieur, de votre lettre et de plus très éclairé. Je sens bien que je marche sur des charbons ardens ; on est tantôt en colère, et l’on a tantôt envie de pouffer de rire quand on lit l’histoire des Hébreux. En vérité, l’olivier sauvage sur lequel on a greffé l’olivier franc était un vilain chardon.

« Vous êtes bien plus hardi que moi : vous me proposez d’oser dire qu’on ne peut attribuer à la Divinité des lois intolérantes. Je suis bien de votre avis ; mais le Deutéronome n’en est pas, car ce Deutéronome ordonne de tuer son frère, son fils, sa fille, sa mère, sa femme, s’ils prophétisent des choses vraies, et si en prophétisant ils s’éloignent du culte reçu. Cela est aussi absurde qu’horrible ; mais comment le dire ? Nos seigneurs les évêques me feraient brûler comme un porc.

« J’ai beaucoup retravaillé l’ouvrage en question. Je me dis toujours : il faut tâcher qu’on te lise sans dégoût ; c’est par le plaisir qu’on vient à bout des hommes ; répands quelques poignées de sel et d’épices dans le ragoût que tu leur présentes ; mêle le ridicule aux raisons ; tâche de faire naître l’indifférence ; alors tu obtiendras sûrement la tolérance.

« VOLTAIRE. »


« Le sacrement de mariage dont je suis occupé, monsieur, a un peu nui à la sacrée tolérance dont je voudrais m’occuper souvent avec vous.

« J’ai l’honneur de vous renvoyer les livres que vous avez bien voulu me prêter. Je voudrais bien que le petit livret que je prépare n’eût pas leur sort. Sûrement ces livres-là, quelque bons qu’ils puissent être, n’ont pas été lus à Versailles, et la première loi dans une affaire comme celle-ci est de se faire lire par ses juges. Ce n’est pas encore assez, il faut avoir des gens qui parlent, et j’espère que nous en aurons. Vous endoctrinerez Mme la duchesse d’Enville mieux que moi. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien lui présenter mes profonds respects quand vous lui écrirez.

« J’ai changé tout l’ouvrage, et je l’ai un peu augmenté pour le rendre plus curieux ; mais je ne sais si j’y aurai réussi. Je tache d’y mettre des notes instructives, pour éclaircir quelques passages de l’antiquité que je crains bien d’embrouiller à la façon des commentateurs. J’aurais voulu faire tout cela dans votre chambre et vous consulter à chaque ligne, car je ne suis pas le premier théologien du monde, et votre éloquence m’aurait encore plus aidé que votre théologie.

« J’ai envoyé à votre ami l’arien un petit chapitre tout à fait édifiant, qu’il vous aura sans doute montré, car il ne me l’a pas rendu. Ce n’est point dans l’arianisme que je crains de tomber, c’est dans quelque chose en isme qui est pire qu’une hérésie ; mais si les malins y trouvent quelque trace de cet abominable isme, j’ai tant de confrères, et de grandissimes confrères, que j’espère être soutenu dans mon infamie.

« Sérieusement parlant, je m’examine avec le plus grand scrupule, je