patriotisme sincère, animées surtout d’un sentiment religieux et moral qui.ravit l’élite de la Suisse. C’est à ce moment-là que Moultou entre en relations avec Rousseau. Les magistrats et les pasteurs, qui recommencent à se défier du somptueux châtelain de Ferney, ont bien compris que la Lettre sur les Spectacles était dirigée contre Voltaire, et ils se réjouissent du secours inattendu que leur apporte l’éloquent tribun. Moultou, moins préoccupé de la lutte, n’a vu que l’âme de Rousseau, et tout d’abord il lui ouvre la sienne. Avec quel bonheur il a lu ses pages inspirées ! À la tendresse de ses éloges, à la chaleur de ses approbations, on sent ici autre chose qu’un allié politique ou religieux, c’est un ami qui se donne à un ami. « Il ne faut pas deux lettres comme celle-là, lui répond Rousseau, pour faire connaître un homme. » Et dès le premier jour les voilà unis d’une amitié véritable, d’une amitié qui pourra bien subir quelques éclipses, mais qui se retrouvera jeune et confiante à l’heure suprême.
C’est en 1758 que Paul Moultou, le jeune ministre de l’Évangile, s’élance ainsi les bras ouverts au-devant de Rousseau, et que Rousseau le presse sur son cœur. Pendant les quatre années qui suivent, à chaque crise nouvelle dans la vie de l’éloquent écrivain, Moultou est là pour le défendre si on l’attaque, pour le consoler dans ses malheurs et guérir les plaies de son âme. Après les enchantemens de la Nouvelle Héloïse, lorsque le Contrat Social, Émile, surtout le magnifique épisode du Vicaire Savoyard, excitent des alarmes si vives, Moultou redouble de zèle et de charité. C’est le moment où Voltaire, heureux de voir éclater la guerre entre Rousseau et les pasteurs, sourit, se frotte les mains, attise le feu avec cet art infernal où il excelle ; Moultou est le chrétien philosophe qui prêche aux pasteurs la tolérance et à Rousseau le respect du christianisme. Émile a été brûlé à Paris, et Rousseau est décrété de prise de corps. Où se cache-t-il ? dans quel pays a-t-il trouvé un refuge en quittant sa retraite de Montmorency ? Est-ce en Hollande ou en Suisse ? Cette incertitude augmente la douleur de Moultou ; il écrit de tous côtés pour retrouver la trace du proscrit, et quand il le voit en sûreté dans le canton de Neuchâtel, que de lettres tendres et pressantes il lui adresse ! Comme il le supplie de ne pas attaquer les croyances de sa république natale ! comme il serait heureux de détourner le coup qui le menace ! Ces magistrats, ces pasteurs que Voltaire, en riant sous cape, représente comme de purs sociniens très indifférens aux questions de dogmes, sont obligés de sévir pour sauver l’honneur de la cité. Michel Servet a été brûlé au XVIe siècle pour qu’il fût démontré aux yeux de l’Europe que la réforme n’était pas une école de libertinage et d’impiété, mais au contraire un retour