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continueront à l’exalter, ses ennemis ne cesseront pas de le maudire, tandis que la critique impartiale, la libre critique du XIXe siècle s’efforcera toujours de le replacer au milieu de la société de son temps, seul moyen de juger l’homme d’après les devoirs qu’il eut à remplir, et de prononcer définitivement une sentence équitable. En un mot, d’intéressans détails ont enrichi l’histoire sans changer un seul trait à la figure du brillant agitateur.

Nous qui venons à notre tour publier ici des lettres inédites de Voltaire, nous n’avons pas d’autres prétentions que nos devanciers. Fournir des pièces justificatives aux annales d’un grand siècle, ajouter quelques notes à des faits que chacun a jugés, c’est là toute notre tâche. Nous ne découvrirons pas assurément un Voltaire inconnu ; ne serait-ce rien pourtant que de jeter une clarté plus vive sur tel épisode de son règne ?

Il est permis de demander quelque chose de plus à des œuvres inédites de Jean-Jacques. Voltaire a dit son dernier mot ; qui sait si Jean-Jacques a dit le sien ? Ces âmes ardentes et rêveuses ont souvent de libres échappées vers l’infini. L’émotion qui accueillait au XVIIIe siècle chacune des œuvres de Rousseau ne ressemblait pas à l’agitation que produisaient les écrits de Voltaire. D’un côté, c’était la curiosité de l’âme, de l’autre la curiosité de l’esprit. Voltaire charmait ses lecteurs, Rousseau remuait les consciences. A. travers les paradoxes de l’auteur d’Emile, on sentait circuler le courant de la vie morale ; de la vie morale à la vie religieuse, n’y a-t-il pas des communications insensibles ? Voilà pourquoi l’annonce de quelques pages retrouvées de Jean-Jacques Rousseau nous émeut encore aujourd’hui ; on peut se demander, en feuilletant ces pages, s’il n’y aurait pas là quelque révélation, si ce ne seraient pas les novissima verba de la grande âme. en peine.

Les œuvres inédites de Rousseau dont il s’agit ici viennent d’être publiées par un descendant de son ami le plus intime. Quiconque a lu Rousseau connaît le nom de Moultou. N’est-ce pas à lui que Jean-Jacques, dès sa première lettre, envoie ces exclamations passionnées : « O cher Moultou ! nouveau Genevois, vous montrez pour la patrie toute la ferveur que les nouveaux chrétiens avaient pour la foi. Puissiez-vous l’étendre, la communiquer à tout ce qui vous environne ! Puissiez-vous réchauffer la tiédeur de nos vieux citoyens ! » Et cette autre apostrophe plus singulière encore et plus inattendue : « Non, non, Moultou ; Jésus que ce siècle a méconnu parce qu’il est indigne de le connaître, Jésus qui mourut pour avoir voulu faire un peuple illustre et vertueux de ses vils compatriotes, le sublime Jésus ne mourut pas tout entier sur la croix… » A Genève et à Paris, Moultou a été pour Rousseau l’ami le plus tendre, le plus délicatement dévoué :