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temps n’était plus où M. de Tourny lui-même, trompé par de faux systèmes, demandait au gouvernement d’empêcher de planter des vignes. Dans les landes, de grandes entreprises de défrichement et de culture se tentaient, et l’ingénieur Brémontier imaginait, pour arrêter le flot envahissant des dunes, les plantations de pins qui ont immortalisé son nom ; la première se fit en 1786. De grands travaux, entrepris par ordre du roi, avaient pour but d’améliorer la navigation du fleuve ; le célèbre phare de Cordouan, à demi détruit par les vents et les flots, sortait de ses ruines pour s’élever plus haut encore. Un puissant esprit d’indépendance locale se développait sous l’influence de la richesse ; l’éloquence s’unissait aux autres arts, et le barreau de Bordeaux renfermait des talens qui ont éclaté plus tard à la tribune nationale. Il semble donc que l’institution d’une assemblée provinciale dût y être très bien reçue. Ce fut le contraire qui arriva.

Diverses causes amenèrent cet échec. La principale fut l’attitude inquiète et séditieuse que prenait depuis quelque temps le parlement de Bordeaux. Ce corps aurait dû avoir pour Louis XVI des sentimens de reconnaissance, car il venait d’être rappelé de l’exil dont l’avait frappé Louis XV ; mais il avait conservé de sa lutte et de sa victoire un excès d’orgueil. Aucun acte de l’autorité royale ne pouvait plus obtenir son approbation. Par l’article 6 de l’édit sur les assemblées provinciales, le roi se réservait le droit de déterminer par des règlemens particuliers la composition et les fonctions de chacune de ces assemblées. C’est à cet article que s’attacha le parlement de Bordeaux pour refuser l’enregistrement ; il prétendit ne pouvoir juger les nouvelles institutions en pleine connaissance de cause, et demanda que le roi lui fît connaître préalablement ces règlemens particuliers, comme si l’expérience du Berri et de la Haute-Guienne ne suffisait pas. Le parlement de Paris, qu’on ne pouvait accuser d’une déférence excessive, n’y avait pas mis tant de façons, et presque toutes les cours du royaume avaient également enregistré l’édit sans élever cette difficulté.

Le roi ne fit aucune réponse au parlement de Bordeaux, et se contenta de faire publier dans chaque généralité le règlement qui la concernait. Cette publication ne satisfit pas le parlement ; le 8 août il rendit son arrêt pour défendre à l’assemblée du Limousin de se réunir. Quatre jours après, le conseil d’état cassait cet arrêt comme attentatoire aux droits du roi et contraire au bien de ses peuples, et le 18 le parlement en rendait un autre qui confirmait le premier en des termes encore plus forts : » Considérant que les ennemis de l’état chercheraient en vain à calomnier les vues du parlement, que sa justification est dans sa conduite ; que les peuples de ce ressort,