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momens où je me prends pour un coquin, et où j’ai envie de faire justice de moi !… Mais cela n’arrivera pas, non ! Mes fautes sont légères et réparables. Je ne verrai plus Nama en secret. Diable de fille, qui ne sait écrire qu’en chinois ! Pourquoi ris-tu, toi ?

— Parce que tu t’épuises en intrigues de comédie quand tu pourrais aller au bonheur par le grand chemin.

— Qu’est-ce qu’il faut faire ? dis !

— Il faut aimer, et tu n’aimes pas. Tu n’as que des désirs et de l’imagination ; le cœur ne t’inspire rien !

— Va toujours ! Qu’est-ce que le cœur m’inspirerait, si j’en avais un ?

— Le respect, le dévouement, la droiture et la patience ! Bonsoir. Dixi.

Je m’éloignai rapidement, craignant de le conseiller trop bien.

Il essaya d’en profiter, car il laissa passer plusieurs jours sans agir et sans reparaître. Pasquali n’y comprenait rien. Le baron s’en croyait délivré. Mlle Roque s’en inquiétait, et la marquise avait l’air de ne pas s’en apercevoir.

Cette semaine fut un repos dont j’avais réellement besoin, et qui acheva de réparer mes forces ébranlées. Il fit constamment beau ; la nature riait par tous ses pores. Les cistes blancs à fleurs roses, les ornithogales d’Arabie, les gentianes jaunes, les scilles péruviennes, les anémones stellaires, les jasmins d’Italie, les chèvrefeuilles de Tartarie et de Portugal croissaient pêle-mêle à l’état rustique, indigènes ou non, sur la colline de Tamaris, devenue un bouquet de fleurs, en dépit de l’ombrage des grands pins. Le golfe était si calme qu’au lever du soleil on ne distinguait pas les objets du rivage de la ligne marine où ils prenaient leur réverbération. L’horizon de la pleine mer se remplissait de navires dont la vapeur nacrée se déroulait en longs serpens sur le ciel rose, et des centaines de barques, pêchant autour des récifs tranquilles, empourpraient plus ou moins au soleil matinal leur voile latine rouge ou blanche.

Dans la campagne, loin des routes, qui sont empestées par les ruisseaux noirs et gras des moulins à huile d’olive, les collines étaient embaumées par les siméthides délicates, par les buissons de cytise épineux et de coronille-jonc, et par les tapis de coris rose, cette jolie plante méridionale qui ressemble au thym, mais qui sent la primevère, souche de sa famille. Des abeilles, butinant sur ces parfums sauvages, remplissaient l’air de leur joie. Des lins charmans de toutes couleurs, des géraniums rustiques, des liserons-mauves d’une rare beauté, de gigantesques euphorbes, de luxuriantes saponaires ocymoïdes, des silènes galliques de toutes les variétés et des papilionacées à l’infini s’emparaient de toutes les roches, de toutes les grèves, de tous les champs et de tous les