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PÉRICLÈS.

On ne conjure point ce qui est inévitable. Avant de me blâmer, Phidias, car je sens que tu me blâmes, apprends exactement ce qui s’est passé pendant ton absence. Nous nous étions promis qu’Athènes serait la capitale de la Grèce, et qu’elle soumettrait tous les peuples qui parlent la même langue au plus glorieux des empires, celui de la persuasion. L’éloquence, l’art, la poésie, devaient lui ceindre une triple couronne. Ses ennemis poseraient les armes, touchés par le respect du beau ; ses alliés, saisis d’une admiration généreuse, se réjouiraient de resserrer les liens qui les unissaient à nous ; ses sujets eux-mêmes n’obéiraient pas sans orgueil à une ville si digne de leur commander. Comment une partie de cette splendeur s’est réalisée, comment nous avons été arrêtés par nos propres concitoyens, tu le sais, toi qui t’es dévoué pour moi. Après ton départ, que quelques-uns ont appelé une fuite, j’ai voulu du moins poursuivre l’œuvre politique que nous avions conçue. Convaincus par mes discours, les Athéniens ont nommé vingt ambassadeurs. Cinq ont traversé l’isthme et se sont rendus dans le Péloponèse ; cinq ont gagné le nord de la Grèce et la Thessalie ; cinq autres ont visité l’Ionie et les îles florissantes qui sont assises sur les flots ; les derniers se dirigeaient vers la Thrace et les colonies de l’Hellespont. Ils ont proposé à tous les peuples d’abjurer leurs haines, pour se souvenir que le même sang coulait dans leurs veines, de conclure entre eux une alliance éternelle, et, ne conservant qu’un nombre de vaisseaux et de soldats suffisant pour repousser les Barbares, de tourner leurs efforts vers le commerce, l’agriculture, les arts, qui assurent la félicité des nations. Chaque ville, gardant son indépendance, choisissait des représentans, qui devaient s’assembler chaque année à Athènes pour régler les intérêts de la patrie commune, et tandis qu’ils auraient assuré à la Grèce entière la paix et la concorde, ils lui auraient ménagé peut-être la conquête du monde.

PHIDIAS.

Oui, tels étaient nos projets ; mais nous avions oublié que les hommes ne sont point parfaits.

PÉRICLÈS.

Je touchais le but, Phidias, je l’aurais atteint sans la jalousie des Lacédémoniens. Notre proposition était accueillie partout avec enthousiasme, lorsque leurs envoyés ont paru à leur tour, semant la défiance, réveillant les querelles anciennes, excitant l’envie, flamme secrète qui ne s’éteint jamais dans le cœur des hommes. Depuis ce moment, les Doriens du Péloponèse ont juré de détruire la puissance d’Athènes, ils épient l’occasion de nous déclarer la guerre aussitôt que leurs forces seront prêtes pour nous écraser ; mais je les préviendrai.

PHIDIAS.

Ils te craignent avec raison, parce que tu encourages l’ambition de nos concitoyens. Si tu t’éloignais des affaires, les hostilités n’éclateraient pas.

PÉRICLÈS.

Elles éclateraient dès demain. Tu ne connais plus les Athéniens, tant ils ont changé pendant ton séjour en Élide. Tout ce qu’ils ont aimé, ils le dédaignent,